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La question sociale

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> Vivre sur son lieu de travail Le familistère de Guise

Les Forges des Salles

définition
La situation dramatique qui donna lieu à la question sociale se développa dès le début du 19e siècle mais on refusa longtemps d'admettre qu'elle constituât un sujet de préoccupations sur lequel la société et le monde politique devaient se pencher. Pas de problème, pas de question donc. Rien que des cas individuels, malheureux certes, mais la plupart du temps, résultat d'une conduite irresponsable de gens sans éducation et sans moralité.
La question sociale n'apparut qu'à la suite d'évènements tragiques, de mouvements populaires importants, lorsqu'il devint impossible de nier le problème. Nous sommes autour de 1886. Le législateur va devoir se pencher sur la condition ouvrière... mais pour décider quoi ? Telle est bien la question !

les origines
Le tournant des 18e-19e siècles a vu se mettre en place un nouveau mode de travail et triompher des règles économiques nouvelles. La "révolution industrielle" a rapidement exercé ses effets non seulement sur la production et les échanges mais aussi sur les conditions de travail et par là, sur la vie quotidienne de milliers d'hommes, de femmes et d'enfants.
La mécanisation a permis une extraordinaire augmentation de la production. Des bénéfices élevés réalisés alors, les patrons réinvestissent la plus grande partie dans l'équipement de leurs usines. Ces nouvelles machines, permettant une production encore accrue, entretiennent le cercle, "vertueux" ou "vicieux" selon les points de vue, de la croissance.

D'autre part, en France comme en Angleterre ou dans la toute jeune Belgique, le libéralisme dans toutes ses acceptions, qu'elles soient philosophique, sociale, intellectuelle ou économique, règne sans partage. Les gouvernements ont retenu des principes de la révolution Française surtout le premier maître-mot : LIBERTE. On y trouve donc un régime parlementaire, au suffrage généralement censitaire, entièrement dominé par une bourgeoisie industrieuse et dynamique pour laquelle la liberté d'entreprendre est essentielle. Comme le proclame alors l'éditorialiste de l'Economiste belge : "Sauvegarder la vie et la propriété des citoyens, préserver des atteintes des meurtriers et des voleurs au-dedans, des conquérants au dehors, tel est le rôle de l'Etat(...) Qu'est-ce qu'un gouvernement ? un appareil à produire de la sécurité, rien de plus, rien de moins".

Prélude à cette liberté d'entreprendre, la Loi le Chapelier de 1791 a aboli les corporations en interdisant toute association professionnelle. L'ouvrier n'est donc plus membre d'une fraternité qui lui donne ses règles, définit son travail et son salaire mais aussi lui assure emploi ou assistance en cas d'incapacité.
Qui est en fait ce travailleur ? L'ouvrier est un paysan que la terre ne nourrit plus; il a quitté les champs, son village, ses liens familiaux et sociaux. Il s'en va en ville où il sera effectivement embauché rapidement s'il accepte les conditions, non discutables, qui lui sont imposées. Il pourra être tout aussi rapidement débauché lorsqu'une conjoncture moins favorable nécessitera de réduire la production.
Au pied de son usine ou en périphérie dans des quartiers qui se construisent et se peuplent sans arrêt, il vit au rythme de son travail, souvent 15 heures par jour, sans les multiples fêtes religieuses qui assuraient aux paysans des jours chômés.
Les parlementaires prennent bien soin de repousser toute idée d'intervention de l'Etat dans leur chasse gardée, l'économie : que ce soit la durée du travail journalier, le rythme hebdomadaire, le salaire, les limites d'âge ou de sexe, l'attitude à avoir en cas de vieillesse, d'accident, de décès du travailleur. Rien n'est règlementé. Une seule loi, celle de l'offre et de la demande; un seul objectif, vaincre la concurrence. Dès leur plus jeune âge, les enfants sont donc mis au travail, les femmes aussi, chaque contribution, si petite soit-elle, étant nécessaire à la survie de la famille d'autant plus qu'il y a encore les vieillards qu'il faut prendre en charge.

Le résultat est catastrophique : mortalité élevée, défaut de croissance, épidémie, malnutrition, lourdes séquelles des accidents de travail... Différentes enquêtes sont menées en Belgique dès les années 1840, mais à côté de quelques rares critiques à l'égard de la politique patronale, on y trouve surtout une stigmatisation de la conduite des ouvriers : l'alcoolisme, la dépravation des moeurs, le laisser-aller dans la tenue du ménage, le manque d'hygiène, l'égoïsme du père de famille qui envoie, librement, ses enfants en bas-âge travailler dans des conditions nuisibles à leur santé... Rien n'est épargné pour rendre l'ouvrier et sa famille responsables de leur condition. Et puisque le problème appartient au travailleur, qui doit se ressaisir, retrouver dignité, moralité et courage, aucune solution collective n'est à envisager, aucun fond public ne peut être sollicité..

Heureusement la philanthropie chez les laïcs, la charité chez les chrétiens apaisent les remords que pourraient éprouver les possédants. C'est ainsi que l'on assiste fréquemment à ces scènes étranges : le patron/mari accordant des salaires tellement réduits pendant la semaine à ses ouvriers que l'épouse dévouée doit sacrifier son dimanche à soulager la misère des familles écrasées. On camoufle les défauts de la machine mais sans imaginer en modifier le mécanisme.

EXPLOITATION et CULPABILISATION sont donc les 2 caractéristiques de cette période.

Les réactions face à cette situation seront de deux ordres :

- la poussée démocratique qui en fait poursuit les objectifs du libéralisme mais en mettant l'accent sur l'égalité. De là les objectifs qu'elle se fixe : le suffrage universel, l'extension de la représentativité par la priorité de la Chambre sur le Sénat, la redistribution des richesses par l'impôt, la création d'une armée de miliciens, instrument d'égalité entre tous les citoyens, et l'accès à l'instruction pour tous, l'extension du droit de vote impliquant que chaque citoyen doit en percevoir les enjeux.

- les théories socialistes qui vont défendre l'idée que le bonheur commun ne consiste pas dans l'addition de réussites individuelles mais bien dans une construction collective où l'intérêt de la collectivité sera le garant du bonheur de chacun.

Et les chrétiens ?
Une première remarque s'impose : dans le domaine philosophique, il y a certes opposition entre les libéraux, partisans d'une société laïque et les chrétiens qui soutiennent un Etat où la religion est encore la référence première. Sur le plan économique par contre, tous les bourgeois, qu'ils soient croyants ou non, partagent la même foi dans les principes du libéralisme.
L'Eglise , elle, dont le message évangélique s'articule autour de l'amour du prochain, a bien du mal à se positionner. Certaines idées lui semblent en effet incontournables : aucune loi humaine n'est au-dessus des lois divines. Les constitutions nouvelles qui proclament en préalable à toute autre disposition la liberté de l'homme, qui affirment la tolérance à l'égard de tous les courants de pensée, qui veulent organiser un enseignement neutre et un mariage civil, provoquent méfiance et même rejet de la part de l'Eglise. Par ailleurs, Dieu a créé le monde et les différences entre les hommes; la préservation de l'ordre voulu par Dieu est le devoir de tout chrétien. La rebellion contre l'ordre établi, s'il ne menace pas la Religion, est une faute.
Enfin, si les hommes sont frères, une doctrine qui préconise l'opposition entre classes est fondamentalement mauvaise, donc pas de syndicat mais plutôt des associations professionnelles regroupant patrons et ouvriers. Or les patrons chrétiens sont souvent ceux qui soutiennent de leurs deniers l'action charitable de l'Eglise, ceux aussi qui défendent au parlement les écoles catholiques et luttent efficacement contre la montée des anti-cléricaux, qu'ils soient libéraux ou socialistes. L'institution préfèrera donc d'abord encourager à la fois le devoir de charité pour le riche et l'espoir d'une vie meilleure dans l'au-delà pour le pauvre. Ainsi au 1er congrès social de Liège, l'abbé Verbeeck pourra affirmer : la première qualité d'un pauvre, c'est la patience. Quelles que soient ses souffrances, jamais elles n'égaleront celle du Christ mort sur la croix pour nos péchés. Le devoir du pauvre est donc d'offrir ses souffrances à Dieu et d'attendre de lui seul la récompense pour cette patience...

Les initiatives des patrons
Certains, animés peut-être de bonnes intentions, ont proposé à leur personnel un cadre de vie qui, tout en leur donnant une grande disponibilité pour le travail, leur fournirait aussi des conditions d'existence décente. C'est ainsi qu'ils ont construit, à proximité de l'usine, des cités ouvrières dont les maisons offraient pour l'époque un confort assez rare et qui, souvent, étaient assorties d'un jardin-potager complétant à peu de frais le menu familial. Chez nous, on peut encore voir la plus ancienne cité sociale d'Europe, "les grandes Rames" à Verviers, à Seraing la cité du Val Saint Lambert, celle du charbonnage Hazard à Cheratte, dans le Hainaut, le grand Hornu. Un ensemble usine/habitat/village peut être visité en Bretagne, aux Forges des Salles.
On dira que cette situation accroissait encore la dépendance de l'ouvrier envers le patron puisqu'en cas de problème - diminution de l'emploi, exclusion, conflit - il perdait non seulement son travail mais aussi son logement. Que par ailleurs, cette attitude patronale était bien plus intéressée que philanthropique puisque le loyer perçu était une part du salaire, qui revenait ainsi dans sa poche. Ces remarques sont fondées mais il est un fait aussi que cette localisation près de l'usine facilitait la vie de l'ouvrier et de sa famille. La concentration permit la constitution de liens étroits entre travailleurs, qui débouchèrent souvent sur des actions communes .
Certains patrons ont voulu aller plus loin, tant dans l'équipement offert que dans la philosophie de développement et de participation.
Il ne s'agissait plus seulement de travailler et vivre dans la même structure mais aussi de pouvoir élever ses enfants, les éduquer, prendre des loisirs, faire ses achats, se cultiver, échanger de manière organisée entre les habitants; bref une ville dans l'usine ou une usine dans la ville. Allons faire un tour, dans le Nord de la France, au familistère de Guise.

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