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Les chrétiens et la question sociale: l'exemple de Liège |
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Préambule Introduction : Les débuts de l'industrialisation Entre 1815 et 1850, la production industrielle dans le bassin liégeois a quadruplé. Déjà alors existent ces noms qui sont familiers à nos oreilles : Cockerill, Espérance, Ougrée, les charbonnages de Sclessin, les industries de Verviers... Cela produit une transformation sociale tout à fait caractéristique. Désormais il y a deux classes sociales quasi antagonistes : les bourgeois et la classe ouvrière. Celle-ci fournit une quantité de bras impressionnante : 17.000 ouvriers par exemple travaillent dans la province de Liège, rien qu'aux charbonnages. On peut y ajouter au moins 400 femmes et 2.000 enfants selon les chiffres de 1883. Les problèmes ne font donc que croître, en particulier la question de la diminution du salaire : les ouvriers, en effet, devenant de plus en plus nombreux, sont de moins en moins payés. Un des problèmes les plus graves est la question de l'interdiction des associations. Quoique la Constitution belge permette en théorie la liberté d'association, le code pénal interdit le droit de coalition. Les ouvriers n'ont donc pas la permission de se réunir en syndicat. Par contre les patrons ont la possibilité de se rencontrer dans des consortiums. Cette situation de base va provoquer de véritables scandales. Voici par exemple ce que l'enquête de 1843 révèle du travail des enfants. Les verreries du Val-St-Lambert à Seraing répondent à ce sujet : "Le travail des enfants étant nécessaire et ayant lieu simultanément avec celui des ouvriers adultes, il est tout à fait impossible d'apporter des changements au mode actuel" L'enfant est employé huit heures par jour au moins au fond de la mine où il s'use à pousser un wagonnet de charbon qui risque à tout moment de l'écraser. Quelques années plus tard, la Chambre de Commerce de Liège dit que si l'on changeait la situation, "nous nous trouverions dans une position d'infériorité vis-à-vis des autres nations"; il est donc nécessaire "d'employer les enfants un même nombre d'heures que les adultes". D'ailleurs, ajoute-t-elle "nous avons remarqué bien des fois que l'enfant qui était entré dans un atelier blême, languissant et déformé, y reprenait bientôt de la vie, de la gaîté et s'y redressait". Le travail des enfants n'était pas un des seuls problèmes; pensons au travail des femmes, dans des situations hygiéniques lamentables ou également à la question de l'alcoolisme. Comment vont réagir les catholiques ? Nous pouvons peut-être discerner différentes étapes dans leur manière de réagir. La première étape c'est la constitution des oeuvres. Une seconde étape sera une prise de conscience autour des années 1870. Une troisième étape sera celle des années '80 avec les congrès sociaux et la dernière étape, les années'90 avec les réalisations concrètes. 1.La mise sur pied des oeuvres sociales (1840-1865) Vers les années 1840, certaines personnes éclairées se rendent compte qu'il faut faire quelque chose. Et parmi elles, Madame Lacordaire, belle- soeur du célèbre dominicain; elle décide de fonder à Liège un hospice pour les jeunes orphelines. La fondation est rapportée dans un discours de 1891, lorsqu'on fêtait le 50e anniversaire. On y disait : "Ceci se passait en 1841, à l'époque où la divine Providence qui veille sur le pauvre et l'orphelin inspirait à un jeune prêtre du Piémont la charitable pensée de recueillir une poignée d'enfants abandonnés". Cette première phrase du discours fait allusion à Don Bosco. Et le texte poursuit : "Il nous faut à notre tour, nous rappeler de nos fondateurs et en particulier Mme Lacordaire." Très intéressant, car Lacordaire est connu comme un des promoteurs du libéralisme chrétien; nous comprenons dès lors que les premières oeuvres catholiques ont un côté libéral, c'est-à-dire un côté progressiste en un certain sens, un côté qui est lié à ce mouvement d'accueil des libertés modernes, caractéristique du début de la première moitie du 19e siècle. A côté de cette fondation, la première fondation pour orphelines dans nos régions, voici que dans les mêmes années le Président du Séminaire, Mgr de Hesselle, fonde une société ouvrière, la congrégation de Saint Paul, où l'on donne des cours et l'on veille à l'amélioration morale de l'ouvrier. Ajoutons aussi la fondation de la Société de St-Vincent-de-Paul en 1846 et de l'Archiconfrérie de la Sainte-Famille en 1844, où les ouvriers participent à la direction de l'association, centrée sur l'instruction religieuse. Une deuxième étape dans la constitution des oeuvres se distingue dans les années qui suivent la révolution de 1848 en France. C'est alors que se constitue en Outremeuse, la Société ouvrière de St-Joseph (1855), où l'on ne se contente pas de donner des cours, mais où l'on propose d'épargner pour constituer une coopérative et une mutualité. En dix ans, la Société comptera un millier de membres. En 1865, est fondé le patronage St-Joseph ou patronage des apprentis destiné à permettre aux enfants de jouer et là eur donner des cours quand ils ne travaillent pas; on y constitue également une mutuelle et une série de caisses de secours. Ce patronage St-Joseph était situé rue St-Laurent. Nous en reparlerons tout à l'heure. c'était une première étape. Je pourrais ajouter un nombre important d'oeuvres fondées à l'époque qui nous montrent l'esprit d'initiative d'un certain nombre de personnes et leur conscience de la gravité de la question sociale. Mais nous remarquons l'aspect ponctuel des ces initiatives et leur portée relativement paternaliste 2.Les années 1870 : associations et esprits clairvoyants Les années 1870 sont un tournant dans l'histoire européenne. En 1871, c'est la Commune de Paris, les temps changent. On constate alors une première prise de conscience de la nécessité de s'associer et de ne pas rester isolé. En 1867, la loi belge permet enfin les associations ouvrières. Aussitôt dit, aussitôt fait. En 1868, les oeuvres catholiques se réunissent en une Fédération des oeuvres. Mais immédiatement aussi les socialistes constituent chez nous l'Internationale. Tout cela la même année. A la même époque, quelques esprits particulièrement éclairés proposent des solutions d'avenir mais personne ne les écoute. Ils restent dans la poussière des archives et des dossiers. Il s'agit d'Alphonse Grandmont, qui en 1870, propose l'assurance-vie obligatoire pour les ouvriers, et d'André Le Pas, qui insiste sur l'intervention de l'Etat. Trois ans plus tard, Edouard Cloes publie les écrits de Mgr Ketteler, évêque de Mayence. L'Allemagne, il faut le dire, était nettement en avance sur nos régions grâce à la conscience de ce grand évêque, qui avait été éclairé par l'action de Kolping. De quoi s'agit-il ? Ce Kolping, jeune prêtre, avait décidé un jour que, dans son travail de vicaire de paroisse, il ne pouvait rien faire de mieux que de réunir les apprentis, les jeunes ouvriers, en associations, où ils se prendraient en charge. La grande intuition de Kolping, c'est de ne pas laisser les bourgeois et les jeunes fils de patrons diriger les associations en question mais de les confier directement aux ouvriers, ce qui à l'époque suscitait en général le scepticisme; on disait qu'ils ne seraient jamais capables de prendre cela en charge. Mais l'oeuvre de Kolping a rencontré immédiatement un succès fou et partout en Allemagne se créent des cercles Kolping. Chez nous, c'est en 1873, pour la première fois, que l'on fait part au grand public de cette organisation allemande. 3.Les années 1880 : Mgr Doutreloux et les Congrès de Liège |
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Dès les premières années de son épiscopat, il montre son souci de la question sociale en allant visiter, en 1880, tout près de Reims, l'atelier de M. Harmel qui était considéré à l'époque comme le patron catholique le plus ouvert; ses réalisations étaient extraordinaires : habitations sociales, mutuelles, etc...; parfaite organisation, mais tout était dirigé par le patron. Ces deux objectifs de l'évêque correspondent exactement aux objectifs généraux de Don Bosco. Et cependant, Don Bosco ne peut pas répondre positivement : il n'a pas assez d'hommes. En 1883, une autre chose se passe à Liège dans l'entourage de notre évêque. Il réunit un Congrès eucharistique international, le troisième en date dans l'histoire. C'est pour lui d'abord une affaire de conviction personnelle : il a une grande dévotion à l'Eucharistie; par dessus le marché, ceci manifeste ses capacités d'organisation. La même année les socialistes réunissent à Liège un de leurs premiers congrès. Un an après en 1884, un événement important également doit être mentionné : les catholiques s'unissent en une "Union pour le Redressement des Griefs", pour essayer de prendre à bras le corps tous les problèmes sociaux qui se posent. Parmi les fondateurs de cette Union nous relevons des noms qui sont encore bien connus des liégeois : Godefroid Kurth, l'historien; Léon Collinet, avocat et bien d'autres encore. Ils vont commencer par faire un travail de documentation. En 1885 1'événement marquant est la fondation du Parti Ouvrier Belge, le parti socialiste. Et en 1886, c'est décidé : "l'Union pour le Redressement des Griefs" va organiser un grand congrès social pour toute la Belgique, avec la participation de nombreux étrangers. Vous voyez le nombre de choses qui sont en train de bouger, dans ces années 1880. Attardons-nous un moment sur ce congrès, qui sera suivi de deux autres car il va dater dans les annales. Il était préparé dans le but de s'opposer aux socialistes et aux francs-maçons. Mais voilà que, au début de l'année 1886 éclatent de grandes émeutes. Ces manifestations étaient déployées pour fêter le quinzième anniversaire de la Commune de Paris. Elles ont tourné en émeute; les vitrines du centre de Liège sont détruites, la police n'arrive pas à contenir le mouvement et, à peine l'a-t-elle contenu, que les émeutes éclatent alors à Seraing, à Flémalle et dans une bonne partie de la Wallonie. L'émotion est très forte au niveau national : le Parlement commande une nouvelle enquête sur la question sociale. Emotion aussi à l'Union pour le Redressement des Griefs, qui décide alors de ne plus consacrer le congrès à la lutte anti-maçonnique et anti-socialiste mais à la centrer sur la question sociale. Les résultats de l'enquête sont publiés et dévoilent que des filles de quatorze ans travaillent douze heures par jour dans les mines et gagnent à peine le prix d'un kilo de beurre par jour. On constate également que, chez Belleflamme à Chênée, l'enfant qui fabrique le moule des lampes à pétrole est accroupi à trois pas d'une fournaise dont la chaleur est absolument intolérable et il doit supporter ce supplice de 6 heures du matin à 6 heures du soir. On découvre énormément d'abus. La constatation de ces abus est faite en particulier par une comtesse spécialement sensible à la question sociale : Valérie de Stainlein (née Nagelmackers). N'ayant pas peur des mots, moins peur que les ouvriers qui doivent répondre aux questions de l'enquête en présence des patrons, la comtesse y va directement. Elle condamne carrément une série de patrons catholiques car, dit-elle, "ils n'ont de catholique que le nom; je fais allusion à Simonis entre autres qui à Verviers accorde à peine une heure de répit sur 12 heures, et encore, à force de supplication de ses ouvriers. Ce même Simonis, dit-elle, fabrique des maisons ouvrières et, en se faisant payer un loyer régulier, il gagne rapidement 16 % sur ses constructions". Les idées progressent et c'est dans ce contexte, après le congrès qui se passe fin septembre, quelques mois à peine plus tard, que Mgr Doutreloux se rend à Turin. Il avait à la clé une idée supplémentaire pour convaincre Don Bosco : c'était un terrain, un endroit tout prêt pour accueillir la nouvelle oeuvre qu'il aurait tant voulu faire venir à Liège, c'était le Patronage St-Joseph. Vous vous en doutez, ça ne se fera pas, mais le patronage St-Joseph est devenu l'Institut St-Laurent. Arrivant à Turin, à la fin de l'année 1887, Mgr Doutreloux reparle à Don Bosco. Don Bosco, éclairé pendant la nuit par un songe où il voit la Vierge lui apparaître, décide le 8 décembre, fête de l'Immaculée Conception, que les Salésiens feront une fondation à Liège C'est la grande victoire de Mgr Doutreloux, qui montre par là qu'il voulait s'attaquer à une situation qui n'avait pas de solution à Liège: les garçons orphelins. Il montrait aussi sa compréhension vis-à-vis d'une congrégation encore nouvelle qui n'avait aucune fondation dans notre pays et qui se développait à mille kilomètres de chez lui. Ainsi se clôturent les années 1880 et nous arrivons à la dernière étape, les années 1890. Ce sont, pourrait-on dire, les années des réalisations. 4. Les réalisations autour des années 1890 |
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Et c'est donc avec ce professeur de séminaire de choc que Mgr Doutreloux ouvre son troisième congrès. Et pourtant c'est un congrès tendu car Mgr Pottier y est interdit de parole. Le gouvernement belge, catholique traditionnel lui défend d'intervenir. Doutreloux trouve la réplique : Pottier ne parlera pas mais son intervention sera publiée dans les actes du congrès. Et c'est cela qui fera date. Le congrès se passera quand même bien et dans les coulisses tout le monde a entendu parler des positions de l'abbé Pottier. Sa position sur le salaire est très claire : comme Mgr Doutreloux, il insiste sur le salaire juste. A la fin de ce congrès de 1890, c'est désormais l'école de Liège qui fait autorité dans la question sociale en Europe; elle s'oppose à l'école d'Angers qui est plus traditionaliste. L'école de Liège, animée par l'abbé Pottier, est claire dans ses options, en particulier sur la promotion du syndicat ouvrier ou, en tout cas, des associations ouvrières. C'est ainsi que nous passons aux réalisations. Cette même année 1890 voit Mgr Doutreloux bénir solennellement la première pierre du futur institut salésien dans une cérémonie inoubliable qui fit beaucoup de bruit dans la presse liégeoise. |
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Conclusion Les réalisations commencent, mais elles sont lentes. Pourtant elles sont là et Mgr Doutreloux y est pour une part importante. Les Salésiens qu'il a fait venir sont aussi importants pour cette mise en oeuvre pratique, non pas théorique, et c'est dans cette optique que je conclurai. Références bibliographiques de la conférence
On peut retrouver sous une autre forme les grandes lignes de cette histoire dans l'extrait de "Pays de Liège, Vie d'une Eglise", de Michel DUSSART et VINK, éditions ISCP-CDD, Liège, 1984. |