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La bataille de la tuberculose, une lutte "exemplaire"

La découverte de la maladie
Connue depuis l'Antiquité, celle que l'on appelle aussi la "phtisie" était très bien caractérisée : fièvre modérée mais continue, perte progressive des forces, toux, crachats sanglants, aspect final d'un cadavre vivant avec les pommettes colorées et saillantes, les yeux enfoncés et brillants.
Mais il faut attendre le début du 19e siècle pour que Laennec, celui qui invente le stéthoscope, donne une description scientifique et Villemin vers 1870 pour qu'on découvre son aspect contagieux. Il reste à isoler le bacille, ce sera le travail de
Robert Koch en 1882.

A quoi est-elle due ?
On avait cerné le parasite; à présent il fallait le détruire.
Se posa alors la question des causes et en fonction de cela, la mise sur pied de parades. C'est en cela que c'est une lutte "exemplaire", dans ses approches et ses traitement successifs.
L'air marin ou montagnard a d'abord la cote mais les premiers sanas ne sont accessibles qu'aux bourgeois fortunés. Or les pouvoirs publics se rendent compte que la tuberculose tue et surtout parmi les masses populaires. Même si des grands romantiques comme Musset, Chopin ou Paganini ou encore "la dame aux camélias" de Dumas fils s'éteignaient élégamment de poumons tuberculeux, le danger public c'était l'ouvrier.

Le malade est coupable
Avant de se lancer dans de coûteux programmes de soins ou de prévention, il convenait de voir si les malades n'étaient pas responsables de leur état. Ainsi à l'Académie de médecine de France en 1874, on couronne un travail intitulé " du rôle que joue l'intempérance dans la misère", thèse ainsi explicitée : "le paupérisme vient non tant de la rareté des denrées et du manque d'emploi que de la corruption des moeurs(...) La misère provient moins du taux des salaires que de leur mauvais emploi. les salaires élevés d'une façon subite ne sont pas autre chose qu'une incitation à la débauche lorsque la moralité ne sert pas de sauvegarde".
Donc le prolétaire est responsable de sa misère - il fréquente trop les cabarets et autres mauvais lieux - et par conséquence, des maladies qui le frappent. Ce n'est donc pas à la société à le prendre en charge.
A un congrès d'hygiène en 1889 la question est posée : dans quelle mesure l'assistance publique pour les indigents doit-elle avoir un caractère obligatoire ? Réaction furieuse des libéraux conservateurs : la liberté et la responsabilité individuelle sont les deux plus grands ressorts de l'humanité.

Le travail des enfants : oser dire que travailler 12h par jour, sous terre, dans la poussière et l'humidité, peut avoir un rôle dans la tuberculose relève du pire socialisme. Pourtant, dès 1900, un syndicaliste montre, preuves à l'appui, les méfaits des tâches épuisantes sur la santé des adultes et plus encore des enfants.


Du coup on déplace le problème : bon, admettons qu'il faut envoyer les ouvriers au sana; Mais quid alors de la production industrielle ? On essaie aussi d'aborder le problème par les logements; l'insalubrité est démontrée et donc on cherche à améliorer l'hygiène en général. Mises à part quelques cités ouvrières créées par les patrons, qui récupérent ainsi une partie du salaire en loyer, les logements sociaux sains et bon marché restent à l'état de projets.

Combattre la maladie sur son terrain avec des professionnels
La 1ère action concrète est la mise sur pied d'un dispensaire de quartier et le choix d'un enquêteur qui se rendra au domicile des tuberculeux. Pour gagner la confiance des malheureux, "il sera pris parmi les gens du peuple, si possible un syndicaliste ou un militant, compatissant et dévoué", dit le
Docteur Calmette, inventeur de l'idée en 1901 à Lille. A Paris, un femme se lance dans le combat contre la tuberculose avec le même esprit. Léonie Chaptal crée "l'oeuvre des tuberculeux adultes" en 1903, passe un diplôme d'infirmière pour être plus compétente, met sur pied une maison-école d'infirmières privées en 1905 qui forment notamment aux visites à domicile. Une association d'infirmières-visiteuses est créée, on organise même des cours de spécialisation.

La bataille contre la maladie justifie et organise le contrôle des populations pauvres
Dès 1918, avec l'aide de fonds américains ( la "fondation Rockfeller" et la "mission américaine de préservation de la tuberculose"), le corps des infirmières se développe, le cursus se précise : un an de soins hospitaliers, un an de spécialisation. La lutte prend des allures militaires et s'organise comme on prépare une bataille. La tuberculose remplace "le boche". L'hygiène sociale entre dans les tâches que le politique doit prendre en charge.

En Belgique, le premier dispensaire antituberculeux de type Calmette est créé à Liège en 1911 par le professeur Malvoz. Voici comme se définit la stratégie adoptée : " Dépister d'abord les sujets atteints de tuberculose pulmonaire, osseuse ou autres et les envoyer à leurs médecins traitants, ensuite obtenir, des malades et de leur entourage, l'application des règles d'hygiène pouvant réduire au minimum les sources de contagion et l'aider dans cette tâche par tous les moyens possibles : tel est le double but auquel vise le dispensaire antituberculeux et où l'infirmière, dans son rôle nouveau d'infirmière-visiteuse, est la plus précieuse collaboratrice du médecin."
Les pouvoirs publics se lancent dans la construction de sanas populaires et des architectes sociaux, comme Le Corbusier, s'y intéressent. On traque le parasite dans chaque foyer, les infirmières forment un véritable bataillon et, munies d'un mandat officiel, elles inspectent au domicile des familles défavorisées. On leur conseille de rechercher les causes du malaise économique dans lequel vivent ces familles, de leur donner "un plan de vie". De la lutte contre la tuberculose, on est passé à un contrôle total des familles sous prétexte de surveiller leur hygiène.

Les terrasses de cure au Sanatorium Marin de Breedene, dans les années 30

Docteurs et AS, contrôleurs de l'Etat ?
Médecins comme travailleurs sociaux sont invités à mettre les humains en fiche, à réclamer des examens. Toutes les tactiques sont bonnes pour assurer la "défense sanitaire", comme on dirait la "défense nationale". Dès lors, les hommes politiques les considèrent comme les intruments de normalisation et de moralisation du prolétaire....
Service-Contrôle : on est en plein dans le schéma de l'aide sociale d'I. Dechamps, et pourtant ... la logique intentionnelle n'était-elle pas parfaitement justifiable ...?

Texte rédigé d'après Guerre à la tuberculose de Roger-Henri GUERRAND, numéro spécial de L'Histoire- les maladies ont une histoire, n° 74, 1984. et le développement de l'hygiène du docteur Louis DELATTRE, dans 1830-1930, la Patrie Belge, éditions illustrées du "SOIR" Bruxelles, 1930.

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