Page réalisée à partir du travail d'Alessandra di Croce
Introduction
J’ai souhaité vous parler des Italiens mineurs immigrés en Belgique car mon grand-père paternel a quitté son village natal des Abruzzes (Tornareccio) à l’âge de 27 ans pour pouvoir nourrir son fils et sa femme.
Quelques mois après son arrivée en Belgique, il est décédé lors d’un accident survenu à la fin de sa journée, au fin fond de cet énorme trou noir.
Il travaillait dans la mine du Gosson n° 1 au Pansy à Saint-Nicolas.
La houille et son extraction: un peu d'histoire
La houille est une roche sédimentaire fossilisée, à cassure conchoïdale brillante. Elle est combustible, de couleur noirâtre et d’origine végétale. Le charbon est apparu suite à l’envahissement de la terre, causé par les conditions climatiques (ex. : température, humidité, etc…), par d’immenses forêts. Celles-ci en se décomposant lentement ont donné naissance au charbon.
On trouve la houille à diverses profondeurs, mélangée à des matières terreuses ou schisteuses.
La découverte de la houille remonte à la plus haute antiquité, certains spécialistes affirment que ce combustible était connu de l’homme des cavernes.
On l’appelait, aux 14ème et 15ème siècles, « carbon de terre ».
|
"Dans cette cité(Liège), comme dans toute la région, la coutume est de brûler une sorte de matière noire qui a l'apprence d'une pierre luisante et qui produit d'énormes charbons sans faire de fumée; mais tandis que le brasier se consume, il ne se fait point de cendres: ce n'est qu'une suie très fine qui se dissipe dans le vent. Ces pierres donc, on les déterre au plus profond du sol, quand on rencontre des veines desquelles on les extrait(...)
Ces pierres on les appelle houille dans la langue du pays. La flamme qui provient de la combustion n'est pas bien grande, ni très brillante non plus, mais à la fois rousse et bleue; elle dure huit heures à peu près sans interruption en gardant toujours un aspect sulfureux. Toute cette région percée de mines se trouve chamarrée des différentes couleurs que peut prendre la terre: ici, dans un même puits, la terre apparaît blanche et noire et au niveau en-dessous bleue et verdâtre, se dorant légèrement et se changeant en mille couleurs." |
Elle fut d'abord exploitée en surface, puis dans des veines peu profondes; mais au fur et à mesure des nécessités - et surtout avec la découverte de la vapeur comme source d'énergie - l'homme dut descendre de plus en plus bas, multipliant ainsi les risques d'accident. (les conditions de travail, au 18es, dans ces mines totalement insécurisées sont racontées dans le roman de Ken Follet, le pays de la liberté) . Il fallut de nombreux combats sociaux pour améliorer la sécurité mais il resta jusqu'à la fin de l'exploitation charbonnière en Belgique un métier très dangereux, et il l'est toujours dans les pays qui continuent à exploiter la houille.
Au 20es, le travail s'organisait comme suit : pour atteindre les veines de charbon, on creusait deux ou plusieurs puits verticaux. Ils assuraient l’aération de la mine, la descente des mineurs et du matériel et la remontée du charbon. Chaque puits avait entre 4 et 7 mètres de diamètre et comprenait 3 compartiments : 2 pour les cages et 1 pour les échelles, les tuyaux d’exhaure et les câbles électriques.
Les cages assuraient le transport du personnel et des berlines. Lorsqu’une cage descendait, l’autre remontait et était réceptionnée à la « recette » en un endroit appelé le « chargeage ».
L’organisation du travail se faisait sur base de trois postes de 8 heures chacun. Le poste du matin procédait à l’abattage. A la fin des 8 heures, le surveillant réglait son travail pour que le front puisse être déplacé sur la longueur du chantier. Puis, venait l’évacuation du charbon. Pour éviter l’affaissement du toit, on procédait au boisage de la taille, c’est ce qu’on appelait le « soutènement ». Cette opération était exécutée par le poste de l’après-midi car c’était extrêmement important. Quant au poste de nuit, pour éviter le danger d’éboulement, il procédait aux opérations de remblai ou de foudroyage qui consistaient à remblayer le vide au fur et à mesure de l’extraction du charbon.
La condition des travailleurs
Le 19ème siècle vit, chez nous, la naissance du machinisme, balayant de longues traditions artisanales et enfantant le prolétariat et le patronat. Les ouvriers venaient des campagnes, des provinces et de l’étranger (Italie, Pologne, etc…).
Très tôt le matin, on les voyait parcourir les routes avec, sous les bras, le bidon et, au dos, la musette garnie d’un morceau de pain agrémenté d’une carotte ou d’un morceau de lard. C’est encore eux que l’on revoyait le soir courbés, fatigués par une longue journée. Ils passaient plusieurs heures de route entre le lieu de travail et leur demeure. La production était le seul critère poursuivi, engouffrant avec elle, femmes et enfants. L’alcoolisme frappait sans pitié les classes laborieuses, seul remède parfois à l’oubli de leur piètre existence.
Le patronat n’avait aucun état d’âme à l’égard des ouvriers mineurs belges et étrangers. Ceux-ci étaient souvent analphabètes et incultes. L’ignorance facilitant l’exploitation, le système n’avait pas intérêt à ce que le monde ouvrier soit « instruit ».
La pension légale n’existait pas et si le mineur voulait avoir une vie « décente », il devait travailler, et ce dans des conditions très difficiles. Or, ils travaillaient 6 jours sur 7 et selon les sociétés, de 10 à 15 heures par jour ; pas de congés payés, pas de sécurité sociale. Les conditions sanitaires étaient inexistantes engendrant toutes sortes de maladies.
La température, au fond, pouvait varier entre 20° et presque 50° dans une atmosphère poussiéreuse
Les mineurs étrangers, hier et aujourd’hui
En 1876, dans le bassin liégeois, on dénombrait 9 % de travailleurs étrangers (dont la moitié d’Allemands). Entre 1910 et 1914, ce furent les Polonais.
En novembre 1923, parmi les 170.000 mineurs recensés en Belgique, on comptait 17.000 travailleurs étrangers (10 %).
En 1930, alors que le nombre total de mineurs n’avait pas varié, on arrivait à 30.000 immigrés (18 %).
En 1939, le pourcentage atteignait 22,4 % en région liégeoise.
Le 20 juin 1946, un protocole d'accord entre les gouvernements belges et italiens est signé à Rome: l'Italie accepte de fournir aux charbonnages belges 50.000 mineurs et la Belgique assure à ceux-ci un salaire, un logement et une vie décente. L'Italie en contrepartie a la garantie de la fourniture de charbon. Ce mouvement de migration du travail durera jusqu'à la catastrophe du Bois du Cazier à Marcinelle. 136 Italiens y perdent la vie et le mouvement de colère du peuple italien force leur gouvernement à stopper l'émigration. La Belgique se tournera alors vers l'Espagne puis vers les pays d'Afrique du Nord (le Maroc) et vers la Turquie.
Mais de 1946 à 1957, 303 convois amenèrent 140.105 travailleurs italiens , 17.403 femmes et 28.961 enfants. Plus de la moitié étaient originaires de Sicile, des Abruzzes et des Pouilles. Ils étaient rangés par numéro de puits et ils étaient ensuite emmenés par des camions vers les charbonnages où les attendaient des logements plus que sommaires.
(La région liégeoise, avec le Hainaut, connut énormément d'installations d'Italiens qui constituèrentont plus de 35% de la population étrangère et les communes avoisinantes comptèrent jusqu'à 86% d'Italiens parmi les étrangers. C'est le cas de Flémalle-Haute ou de Tilleur.
A Saint Nicolas en 1951, les Italiens représentaient 799 habitants, 50% des immigrés, 12, 4% de la population totale . Plus de 80% constituaient la nouvelle immigration, issue des accords bilatéraux. Près de la moitié avaient été recrutés dans le Nord et il s'agissait en nombre quasi équivalent de célibataires et d'hommes mariés ayant emmené leur famille.
Dans le Centre et le Sud, les familles étaient restées au pays car les ouvriers provenaient alors de petites exploitations agricoles où la femme continuait à travailler. Ce qui donne à croire que, au début en tout cas, les immigrés espéraient revenir au pays quand ils auraient réuni assez d'argent. Certains n'ont eu aucune chance d'épargner, l'accident mortel les ayant surpris à peine arrivés.
Certains mineurs ont été installés dans un camp comprenant des baraquements, très proches du charbonnage; c'est là qu'habitaient souvent les familles. D'autres habitaient dans des cantines et d'autres enfin, dans des maisons louées par les charbonnages sur le territoire de la commune. Cette solution était la plus confortable. (TJ d'après R.Clemens et alii, voir bibliographie)
En 1996, voilà 50 ans que la Belgique et l’Italie ont signé l’accord qui a donné lieu au plus important phénomène migratoire qu’a connu notre pays : l’arrivée des immigrés italiens venus travailler au fond de nos mines. Très peu de ces immigrés sont rentrés définitivement au pays mais la plupart ont conservé d’étroits contacts avec la famille et les voyages sont fréquents. Les pensionnés, souvent coincés entre l’aile italienne - quand elle n'a pas, au cours des ans, émigré elle aussi -et l’aile belge de la famille partagent leur temps : six mois dans la maison acquise en Belgique et six mois dans la maison achetée ou héritée en Italie.
Aujourd'hui, les Italiens sont parfaitement intégrés, les mariages mixtes très fréquents en témoignent. Mais chaque famille garde une place particulière dans son coeur pour ceux qui ont souffert ou ont perdu la vie dans la bataille du charbon.
Pour en savoir d'avantage en restant sur ce site, allez voir les différentes pages réalisées par les étudiants sur ce sujet, dans le chapitre immigration et dans celui sur les luttes sociales
Bibliographie
Livres
M.Villan et G.Zélis, Mines et mineurs de Wallonie, d'Italie et d'ailleurs, catalogue de l'exposition réalisée à Floreffe, 1989
René Clémens, Gabrielle Vosse-Smal et Paul Minon, L'assimilation culturelle des Immigrants en Belgique - Italiens et Polonais dans la région liégeoise, Séminaire de sociologie de la Faculté de Droit de Liège, édit. H. Vaillant-Carmanne, Liège, 1953?. Une recherche extrêmement riche d'enseignement dont beaucoup d'aspects pourraient être étudiés aujourd'hui en les mettant en parallèle avec ce que nous disons et pensons de la nouvelle immigration et sa "non-intégration" (dixit A.Duquesne).
Marcelle Imhauser et alii, Petite chronique du pays de Liège, éditions RTBF Liège, 1980
André De Bruyn, anciennes houillères de la région liégeoise, édit. Dricot, Bressoux, 1988 (aussi pour la photo du charbonnage du Gosson n° 1 en 1935)
Article
Robert Joris, Région, l'Evènement, 28 février 1996, pp.7-8
Site
http:// ibelgique.ifrance.com.mineshainaut/la_vie_du_mineur.htm