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Transposition pour le Web du travail de Delphine Drago
Introduction
L'inquisition est née à la charnière des 12ème et 13ème siècles (1231) et désigne le tribunal spécial institué par la papauté pour répondre au défi de l'hérésie cathare au moyen d'une procédure particulière, l'enquête appelée " inquisitio ". La procédure inquisitoriale a été introduite devant les tribunaux ecclésiastiques par Innocent III. Elle disparut au 18ème siècle sauf en Espagne où elle se maintint, un temps, sous une forme politique.
1. Du temps de l'inquisition
1)
Un inquisiteur : Bernard Guy
Bernard Guy, moine dominicain du 14ème siècle a
rempli les fonctions d'inquisiteur pendant près de 17 ans
et a également été l'auteur d'un traité
uniquement destiné à ses collègues : "
le manuel de l'inquisiteur ". Dans ce manuel, il y traite
les différentes formes d'hérésies et enseigne
l'art de reconnaître, de démasquer et de condamner
un hérétique. " La mission de l'inquisiteur est
l'éradication de l'hérésie. Or, l'hérésie
ne peut être détruite si les hérétiques
ne le sont pas. Et les hérétiques ne peuvent être
détruits si ,avec eux, on ne détruit pas aussi ceux
qui les hébergent, qui sympathisent avec eux "
Le manuel de l'inquisiteur expose également le portait
de l'inquisiteur modèle : zélé, courageux,
perspicace, circonspect, ignorant la colère et la haine
; on y trouve aussi la réalisation d'un procès en
hérésie et la manière dont traiter les hérétiques
incorrigibles, ceux qu'il fallait éliminer jusqu'à
la peine de mort pour que cette " maladie contagieuse "
n'atteigne pas la Communauté religieuse. Selon Bernard
Guy, la loyauté au pape est le commandement suprême,
l'obéissance est la vertu la plus sacrée.
(NB. Ce personnage est bien connu aujourd'hui, grâce à
sa représentation cinématographique dans le film
"le nom de la rose",
tiré du roman de Umberto Eco. Il y est opposé au
franciscain Guillaume de Baskerville, joué par Sean Connery.
TJ)
2)
Fonctionnement de l'inquisition médiévale
Les tribunaux ont été conçus par le pape
Innocent III : ceux-ci avaient pour but de débusquer les
hérétiques, les mettre en accusation et les inciter
à revenir à la foi catholique. Pour ce faire, l'inquisiteur
se déplaçait et recherchait les hérétiques
en faisant des enquêtes locales. Soupçonnant leur
présence dans tel ou tel lieu, celui-ci, accompagné
de ses assesseurs, annonçait sa venue aux autorités
religieuses qui allaient prévenir la population. Au peuple
assemblé, l'inquisiteur délivrait alors un sermon
sur la foi appelé " sermon général "
, se terminant par un double appel incitant vivement les fidèles
à dénoncer toute existence d'hérésie
dans la région ainsi que les hérétiques à
se présenter devant le tribunal (la spontanéité
de la démarche leur offrant une certaine indulgence). Pour
ces démarches, un délai était fix,é
appelé " temps de grâce". Durant cette
période, l'inquisiteur enregistrait les dénonciations
et entendait les confessions. A l'issue de ce délai, il
retournait de nouveau à la recherche de ses justiciables,
grâce à l'acquis des informations antérieures.
S'ensuivait alors le véritable procès inquisitorial
: l'accusé, le plus souvent arrêté, était
cité à comparaître, parfois accompagné
de témoins.
La procédure était enregistrée dans son intégralité
et chacun devait certifier sa déposition à l'issue
de la séance. La preuve essentielle de la culpabilité
semblait résider dans l'aveu fait par l'accusé de
sa faute. Pour l'obtenir, l'inquisiteur devait déjouer
l'habilité de l'accusé.
Si les interrogatoires n'aboutissaient pas à l'aveu, l'inquisiteur
avait alors recours à la torture. L'accusé était
d'abord amené dans la chambre de torture, où les
instruments lui étaient montrés et expliqués
dans leur fonctionnement. Ce premier acte était souvent
suffisant pour faire tomber les moins endurcis. Dans un second
temps, le patient, déshabillé et attaché,
était alors soumis à la torture. Sous la torture,
il lui arrivait d'avouer des crimes qu'il n'avait même jamais
commis. L'inquisiteur y jouait un rôle actif : amener le
patient à des aveux rapides et complets. Si l'accusé
persistait, alors la condamnation était prononcée
car il n'y avait pas de divergence vis à vis de "
l'unique véritable foi chrétienne." Ce principe
reposait sur le fait que tout être de Dieu a reçu
l'esprit de Dieu et, l'esprit de Dieu est si déterminant
qu'il n'est pas possible de s'en écarter. S'il s'en écarte
et nuit à la Communauté des croyants, alors le diable
est présent en lui. Il convient donc de briser l'obstination
du diable y comprit par la torture. Seule une véritable
" Ascèse " ( discipline de vie ; ensemble d'exercices
physiques et moraux pratiqués en vue d'un perfectionnement
spirituel) rigoureuse peut sauver l'âme.
L'aveu obtenu sous la torture était cependant insuffisant
car il devait être confirmé hors de la torture pour
être pris en compte dans la procédure.
L'inquisiteur était
à la fois accusateur et juge. L'accusé, quant à
lui ,ne disposait pas d'avocat car celui qui prêtait son
concours à un hérétique était supposé
hérétique lui-même. L'hérétique
devait donc se défendre par lui-même et l'une des
méthodes les plus efficaces consistait à démontrer
si possible que les accusations avaient été portées
par des témoins qui entretenaient de l'inimité contre
soi.
Si l'accusé était reconnu innocent, il était
absous et relâché. Dans l'autre cas, il se voyait
condamner à une peine, notamment le port de tenue de pénitent,
le bannissement, la détention, enfin le bûcher pour
les hérétiques invétérés ou
récidivistes,
Ce système se fondait sur la peur et récompensait la délation. La technique de l'interrogatoire menait à des résultats absurdes et macabres qui renversaient la logique et le droit.
3)
" Le Salut passe au-dessus des vies humaines "
" Il n'y a qu'un chemin, celui qui l'Eglise définit.
Elle détient la seule vérité possible, celle
de Dieu et elle a été chargée de l'annoncer
à tous les hommes sans exception". En effet, l'homme au Moyen-Age
était préoccupé par le Salut de son âme
et cherchait par conséquent à l'obtenir. Les inquisiteurs
étaient, quant à eux, convaincus d'exercer leur
mission sincèrement. Leur but était d'obtenir l'aveu
qui donne accès à la miséricorde de Dieu,
se battre pour l'âme de l'homme pour qu'il ait le Salut
éternel. Par conséquent, les châtiments infligés
avaient pour objet non pas de punir, encore moins de venger la
société, mais de racheter des égarés
; d'où les amendes, les pèlerinages et autres sanctions
d'ordre spirituel. Ceux-ci étaient infligés non
seulement pour "
leur propre Salut mais pour l'édification du peuple catholique
tout entier".
En effet, le bûcher n'était pas considéré
comme primaire, ni cruel mais comme une purification car il éliminerait
" cette saleté, cette contagion. ". " Brûler
l'hérétique, c'est non seulement le détruire
mais réduire à néant jusqu'au souvenir de
son crime contre Dieu et la foi."
Remarquons que la procédure inquisitoriale est doublement
contradictoire. En effet, d'une part elle porte atteinte à
la gloire de Dieu qui Seul a le pouvoir de juger ; d'autre part,
elle réduit Son intelligence à la nôtre, Lui
contestant le droit de laisser le choix à d'autres et à
Le respecter autant que Lui et Lui seul le jugera bon.
4)
L'hérétique
La bonne nouvelle lui est parvenue ; il a été chrétien
et a refusé l'obéissance de l'Eglise; il s'est montré
très sourd à la parole divine, l'interprétant
à son idée, refusant l'intermédiaire des
prêtres et de l'ordre voulu par Dieu dont le roi est garant.
L'hérésie était un défi à l'ordre,
celui de l'Eglise comme celui de l'Etat.
" Tolérer d'autres religions serait en fait admettre qu'il y a plusieurs vérités. Une idée inconcevable au Moyen-Age. Car la tolérance n'est, pense t-on, qu'un autre nom pour l'indifférence "
2. L'inquisition inspire la justice actuelle
" De nos jours, l'Eglise
n'a pas renoncé à dénoncer ce qu'elle considère
comme des erreurs dans le domaine de la foi. Mais elle ne reçoit
plus aucun appui officiel d'aucun Etat ; ses décisions
sont affaire purement ecclésiastique, ses sanctions uniquement
spirituelles ou disciplinaires. " Mais la technique d'investigation
mise au point à l'occasion de la création de l'Inquisition
religieuse a eu des répercussions sur la manière
d'organiser la Justice séculière.
La
procédure
: Dans la poursuite contre l'hérésie, des règles
de procédures spéciales qui permettent au juge de
rechercher les coupables ont été mises sur pied.
C'était une nouveauté, la justice n'étant
jusqu'à alors qu'une machine à arbitrer les différends
entre individus. En ce sens, l'Inquisition est à la base
de l'organisation de notre justice actuelle, et le juge d'instruction
est le descendant direct des inquisiteurs médiévaux.
A la tête de l'inquisition moderne se tient le pape ; celle-ci
est un tribunal du pape mais le pape ne pouvant se trouver partout,
il délègue et nomme des inquisiteurs qui sont des
fonctionnaires méticuleux, attachés aux formes.
On aura tendance à choisir des juristes pour ce rôle
car l'Inquisition est un tribunal. On peut donc y voir une professionnalisation
des juges alors que, dans le moyen âge féodal ,la
justice pouvait être rendue par le seigneur et son conseil
de vassaux, sans compétence particulière.
La
notion de territoire
: L'inquisiteur peut être révoqué n'importe
quand. Un territoire clairement délimité lui est
attribué ; territoire sur lequel il reçoit pour
instruction de rechercher et de poursuivre les hérétiques.
Cependant, la juridiction de l'inquisiteur n'a pas de limites
précises. Il jouit d'une liberté considérable
- les juristes parlent d'une grande marge d'arbitraire. Son action
se caractérisera par sa souplesse et sa faculté
d'adaptation.
Les juges d'instruction d'aujourd'hui ont aussi une juridiction
territorialement définie. Mais si un juge peut être
désaisi d'un dossier - cfr le juge Connerotte et les spaghettis
dans l'affaire Dutroux - sa fonction de juge est protégée
pour que son impartialité ne soit pas menacée par
des pressions possibles.
Hiérarchie : L'inquisiteur est généralement
une personne de haut rang et un homme très occupé.
Une fois nommé, l'inquisiteur général choisit
des juges " subdélégués " qu'il
envoie dans les provinces et sur lesquels il garde un pouvoir
de contrôle. Il est entouré d'un conseil (cinq ou
six personnes, souvent des anciens inquisiteurs, deux secrétaires
et leurs bureaux, une cour de comptes) qu'on appelle " La
Suprema ." C'est elle qui gère l'institution au jour
le jour.
A la tête de chaque district, on trouve de un à quatre
inquisiteurs qui sont assistés de deux ou trois greffiers,
d'un concierge, d'un huissier, d'un argousin (un bourreau) et
d'un exempt (un sergent). Ce peut donc être considéré
comme une amorce de la pyramide justiciaire, les différentes
instances, la clarification des relations avec les forces de l'ordre
et les exécutants.
Finances : Ses agents ne vivaient pas
du budget de l'Etat, ni de celui du pape. En réalité,
ils confisquaient les biens des condamnés et les vendaient
à l'encan pour toucher leurs salaires.
A l'époque contemporaine chez nous, plusieurs mesures ont
été prises pour, au contraire, garantir l'impartialité
de la procédure, notamment par le fait que le juge n'a
aucun intérêt à poursuivre ou non, à
rendre telle ou telle décision. On peut, par contre, se
poser la question du fonctionnement des USA où les juges
sont élus par les citoyens.
La
délation
: On touche ici le mélange de pression sociale et de réticence
que suscite l'inquisition. Pour elle, il faut dénoncer
dans tous les cas, au moindre soupçon. Elle le répète
chaque année, dans les paroisses, lors de la lecture de
son édit de foi, qui contient la liste de tous les faits
qu'elle poursuit. Elle fait savoir ce qu'elle veut et le fait
bien savoir.
On a vu chez nous les réactions mitigées des professionnels
lors de l'ouverture d'une ligne téléphonique spéciale,
permettant à chacun d'apporter des informations dans l'affaire
Dutroux.
Conclusion
En définitive, l'inquisition ne peut-elle pas être considérée comme une délivrance ou une punition suivant que l'on se place du point de vue de l'inquisiteur ou de l'hérétique ? Le juge n'était pas, on l'a vu, un sadique mais un homme sûr d'obéir à la volonté divine, de rencontrer l'intérêt de la communauté des fidèles et même celui de l'hérétique qu'il soustrayait aux forces du mal.
" L'autorité religieuse et le pouvoir séculier se secondaient mutuellement pour assurer le bon fonctionnement de l'inquisition, au Moyen Age comme à l'époque moderne, dans une confusion des domaines qu'il n'appartient pas à l'histoire de dénoncer, mais de constater. L'anachronisme guette l'homme de bonne volonté moderne qui s'intéresse à l'inquisition. Dénoncer à travers elle le " non-respect des droits de l'homme " et " l'intolérance " n'a pas de sens. Non que le contexte historique excuse tout ; mais s'il est indéniable qu'à travers le tribunal mis en place, il y ait eu des abus et que nous avons peine à lui trouver un aspect positif, il n'en reste pas moins nécessaire de se garder des transferts. Il appartient aux chercheurs d'exploiter les dossiers et de faire sortir l'Inquisition de l'environnement passionnel dans lequel elle est le plus souvent enfermée " Jacqueline Martin-Bagnaudez
Bibliographie
Cassette
: soirée ARTE
Thema : " l'inquisiteur et les sorcières "
Livres
Jacqueline Martin-Bagnaudez, l'Inquisition : mythes et réalités,
édition Desclée Brouwer, France, 1992.
Gabriel Audisio, le barbe et l'inquisiteur : procès
du barbe Pierre Griot par l'inquisiteur Jean de Roma, édition
édisud, 1979.
Articles
" Historia spécial ", Inquisition et intégrisme
: le temps du fanatisme, Mai-Juin 1997, N°47, page 8 à
11 ; 48 à 52 ; 58 à 64.
" L'actualité religieuse ", la violence et
le sacré : inquisition, non-violence, guerre sainte, sacrifices,
15 février 1997 N°152 ; page 30 à 32.
Site
internet : http://pages.dgsi.net/Actaruce/inquisition.html
Références
illustrations
Hérétiques
au bûcher,
peinture de P.Berruguete, Musée du Prado, Madrid
Torture et bûcher de juifs en Allemagne, gravure
sur bois du XVes, dans La Mémoire de l'Humanité,
les grandes tragédies, Larousse, 1994, p.73