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La condition des ouvrières depuis 1850
jusqu'à la fin des "golden sixties"

Page réalisée à partir du travail de Lydie Pirson

Introduction

A plus d'un égard, le statut de la femme du 19e siècle est proche de celui de l'enfant ou de l'adolescent prolétaire: elle est surexploitée, condamnée à un travail non qualifié et souvent sous-payé; de plus, elle dépend étroitement de l'ouvrier adulte.
Aussi n'est-il pas nécessaire de lui donner une formation professionnelle: ou bien elle exerce un travail non qualifié excluant toute formation, ou bien elle travaille à domicile et sa formation se confond alors le plus souvent avec son éducation familiale. Cependant, l'ouvrière n'est pas seulement prolétaire, elle est aussi femme, épouse ou concubine, mère, donc le personnage central de la famille.

Pour les ouvriers, la femme doit d'autant plus rester au foyer que lorsqu'elle entre à l'atelier, c'est comme concurrente de l'homme. Si la misère engendrée par la question sociale rend aux moments de crise le travail obligatoire pour tous, dès que ce n'est plus indispensable, elle est renvoyée chez elle. Main d'oeuvre d'appoint, sans réelle compétence professionnelle, elle sera aussi la première licenciée, Victimes à la fois du capitalisme et du sexisme, qui se renforcent l'un l'autre, les ouvrières du 19e siècle auront beaucoup de mal à faire entendre leur voix sur la scène sociale. Elles n'y parviendront qu'au début du 20e siècle, grâce à leurs luttes.

1 Le travail des ouvrières

Le travail industriel des femmes n'est pas né au 19e siècle.
Au moyen âge, les femmes aident souvent leur mari à l'atelier. Dès cette époque, les femmes sont souvent utilisées dans le textile, le vêtement et les métiers qui s'y rapportent, l'accès à la maîtrise leur est pratiquement fermé et les hommes, notamment en cas de crise, contestent, par pétitions et parfois par grèves, leur droit au travail indépendant.
Inversement, le travail féminin du 19e siècle ne se réduit pas à celui de l'ouvrière. La France est encore un pays rural, et la femme au travail est d'abord la paysanne. Lorsqu'elle quitte la terre, c'est souvent pour devenir domestique et non ouvrière. C'est souvent un choix; la jeune fille fuit la promiscuité de l'usine, les harcèlements de tout genre auxquels elle est soumise. Le risque existe aussi dans les maisons bourgeoises ou nobles mais tant qu'à être brutalisées, autant l'être dans le lit du maître que sur le sol de l'atelier.
Vers la fin du siècle, la proportion des domestiques tend à baisser, mais celle des institutrices et des employées augmente. Les administrations, les grands magasins seront l'objectif de bien des jeunes femmes mais ces emplois supposent déjà l'instruction et donc ne seront accessibles au 19es qu'à une toute petite minorité.
L'ouvrière n'est toutefois pas facilement acceptée dans le milieu de travail; elle y est seule, loin du maître, de son père ou de son mari, indépendante en un mot, même si les conditions de travail abrutissantes ne lui laissent guère d'occasion d'exercer son indépendance.

Le premier grand secteur d'emploi féminin au 19e siècle est toujours l'industrie textile. Les premières manufactures textiles embauchèrent massivement des femmes. Elles trouvèrent là une main-d'œuvre moins coûteuse et plus docile que les compagnons traditionnels. Au départ, les premières tâches mécanisées furent celles qui étaient traditionnellement dévolues aux femmes, aidées par les enfants -. la filature et les travaux élémentaires comme le bobinage et le cardage. Privés de leur travail familiale par cette concurrence, femmes et enfants durent prendre le chemin de la manufacture, où leur furent confiées les mêmes activités, mais mécanisées et encadrées par des hommes. Les femmes furent, de plus, chargées de travaux traditionnellement masculins que la mécanisation leur rendait accessibles en exigeant moins de force physique, comme le moulinage de la soie et même le tissage.
Ces femmes travaillaient souvent dans des conditions très dures, comme les ouvrières des ateliers textiles à Verviers, où régnait une température de plus de 30°, ou comme les tireuses de soie, dégageant une odeur repoussante. Ces ouvrières recevaient un salaire inférieur de moitié à celui des hommes, étaient les premières au chômage en cas de crise, subissaient parfois le chantage sexuel des commis et devaient éventuellement, pour survivre, recourir à la prostitution occasionnelle.
Dans la région de Lyon, les patrons
de la soie inventèrent un système très proche du système pénitentiaire, l'internat, qui se répandit très rapidement. Dans la première moitié du siècle, on y trouvait, dans des ateliers souvent implantés dans d'anciens couvents et encadrés par des religieuses, des adolescentes placées par leurs parents vers 12 ou 13 ans. Dans la seconde moitié du siècle, ces "ovalistes" étaient des jeunes filles venues de leur village pour se constituer une dot, ou des veuves qui trouvaient ce moyen de subsister. Ce sont ces ovalistes si dociles qui, en 1868, mèneront la première grande grève féminine et seront, un peu malgré elles il est vrai, les premières femmes reçues à l'Association internationale des travailleurs.
En 1866, 70 % des ouvrières d'industrie travaillent dans le textile où elles constituent 45 % de l'effectif ouvrier.
La seconde grande masse ouvrière féminine est constituée de couturières, lingères, dentellières, brodeuses, giletières, corsetières, etc. mais la couturière de la seconde moitié du 19e siècle est tout aussi différente de celle du 18e siècle que l'ouvrière des filatures l'est de la paysanne-fileuse. Elle est en effet prise maintenant dans les rapports de production capitalistes, et notamment dans le sweating-system. Faute d'économies suffisantes, les couturières à domicile ne purent pas acheter de machines et elles subirent la concurrence d'ouvroirs équipés en machines. Beaucoup de couturières se retrouvèrent ainsi au chômage. Puis se mit en place un système qui combinait le travail sur machines à coudre dans de petits ateliers, et un travail manuel à domicile. Les couturières retrouvèrent alors du travail, assuré par le développement de l'industrie de la confection, mais il s'agissait d'un travail parcellisé, coupé de longue périodes de chômage saisonnier et d'autant plus mal payé qu'une concurrence sauvage opposait les petits ateliers ainsi que les couturières à domicile.
Ces ouvrières du vêtement sont presque 600 000 en 1866 et, en 1906 encore, 36 % des femmes actives travaillent à domicile. Assez proches de ces ouvrières de l'aiguille, les fleuristes, les plumassières, et, d'une façon générale, les ouvrières des articles de Paris, travaillent-elles aussi dans de petits ateliers ou à domicile, exécutant des taches parcellisées et sous-payées, et subissant de longs chômages saisonniers.
Le textile, le vêtement, la mode, sont des industries qui passent pour typiquement féminines et qu'il est donc difficile d'interdire aux femmes. Dès le milieu du 19e siècle, elles pénètrent dans certaines industries nouvelles ou récemment mécanisées -. le papier et le cartonnage, l'alimentation, les industries chimiques, la fabrication de la faïence fine, etc. elles s'introduisent même dans la métallurgie légère.

Mais, dans le Nord, dans le Hainaut ou le bassin liégeois, c'est dans les mines qu'on trouva également un grand nombre d'ouvrières, et cela dès leur plus jeune âge, spécialement pour trier le charbon ou pousser les wagonnets. Elles n'étaient évidemment pas affectées à la taille, vu leur moins grande force physique. Ce pouvait être un avantage puisque moins dangereux mais cela signifiait automatiquement d'être aussi écartées des travaux les mieux payés.

Enfin, avec les demandes nées de l'industrie de guerre et l'absence des combattants, les femmes s'introduisirent dans les grandes entreprises de mécanique ou d'aéronautique, où leur précision et leur finesse de travail les rendirent rapidement irremplaçables. Si l'atmosphère dans ce type d'atelier était moins nocive que les charbonnages ou le textile, les exigences de la chaîne et les normes de productivité en réduisirent un grand nombre à un rôle de robots, entraînés dans un rythme infernal.

2. Les ouvrières
Femmes et prolétaires, les ouvrières du 19e siècle, n’ont que peu l'occasion de se faire entendre, ni dans les livres, ni dans les journaux, ni dans les congrès syndicaux.
Nous connaissons les positions de quelques grandes militantes socialistes, comme Louise Michel en France et Emilie Brunfaut en Belgique. Si elles sont féministes, elles ne séparent toutefois pas leur combat d'émanciaption de la femme de celui de l'émanciaption de l'ouvrier en général. Leur cheval de bataille sera l'éducation qui permettra la prise de conscience et donc la révolte puis la liberté.

Hommes et femmes travaillaient presque côte à côte à la FN, souvent sur les mêmes machines, effectuant les mêmes gestes mais leurs salaires n'étaient pas du tout équivalents. Lorsqu'en 1966, les femmes du polissage débrayent pour obtenir ou se rapprocher de cette égalité, les hommes ne sont pas d'accord; il leur faudra donc d'abord lutter contre leurs camarades avant de convaincre les patrons.

Le mouvement féministe, qui se développe vers 1870, attache donc beaucoup d'importance à l'éducation. Le premier congrès féministe international, réuni en 1878, réclame la liberté du travail pour la femme, l'égalité des salaires, la journée de huit heures, le repos hebdomadaire, un congé et des allocations de maternité, l'admission des femmes dans les syndicats, la reconnaissance de la maternité et des travaux ménagers comme travail social, et formule cinq revendications en matière d'éducation: création de crèches, garderies, jardins d'enfants; mixité à tous les niveaux de l'enseignement; cours de "Sciences de l'enfant" et d'économie domestique dans les écoles de filles.
La syndicalisation des ouvrières fut lente. Tout les détournait de la grève et du syndicalisme:
- peu qualifiées et particulièrement menacées par le chômage, elles sont facilement remplaçables;
- peu qualifiées, elles travaillent dans des secteurs peu touchés par les grèves;
- employées plus souvent que les hommes dans de petites entreprises, quand ce n'est pas à domicile, elles sont moins accessibles à l'action syndicale;
- chargées des finances familiales, elles sont plus sensibles à la perte financière due à la grève;
- bombardées par l'idéologie sexiste dominante, qui présente la femme comme douceur, soumission et passivité, il leur faut se révolter avec souvent des actes de violence. Sans oublier les pressions du patron (qui parfois, pour un seul gréviste dans la famille, met tout le monde à la porte), du clergé (à Douarnenez, en 1905, il menace de refuser les sacrements à celles qui ne quittent pas le syndicat) et du mari
On comprend que, dans ces conditions, il y eut peu de syndiquées et encore moins de grévistes femmes. Elles n'y étaient guère encouragées par leurs collègues masculins ! Ce qui les frappe surtout, c'est quand des femmes mènent des grèves toutes seules. Ce sera le cas à la fabrique Nationale des armes de guerre (la célèbre F.N.) de Herstal près de Liège où en 1966 les ouvrières déclenchèrent une grève très dure, pour obtenir des augmentations de salaire. Il fallut plusieurs jours pour que les hommes acceptent ce mouvement, puis pour que les syndicats fassent cause commune et manifestent aux côtés des ouvrières.
Ces progrès dans l'action ouvrière et l'investissement qu'il nécessitait ne dispensèrent toutefois jamais les ouvrières de leur double journée, c'est-à-dire d'assumer leur rôle d'épouse, de ménagère et de mère. Au contraire, toutes les études prouvent que le milieu ouvrier est un de ceux où le partage des tâches est le moins réalisé.
Quand arriva la fin des années 60, les femmes furent parmi les plus touchées par le chômage et si hier les charbonnages ont fermé, si aujourd'hui des drames sévères se vivent dans les grandes industries métallurgiques, chaque année, sans vraiment grand bruit, les ateliers de textile, les entreprises de mécanique fine licencient , laissant ainsi de très nombreuses ouvrières sur le carreau. q

3. Bibliographie
Livres
Encyclopédia Universalis, rubriques "femme" - "travail"
Histoire de la Formation des ouvriers , 1789-1984, de Bernard Charlot et Madeleine Figeat , édition Minerve .
Dossier
Emilie Berthalon, Sandrine Botella et Violaine Lopez (1e ES 2)
Documentaires TV
Les femmes-machines, la grève des femmes à la FN, film de M.A.Thunissen, RTBF, 1996
Les années belges, séquence "l'auto-gestion: le balai libéré", RTBF
Ilustration
Travailleuse à domicile à Binche, dans Ch.Genart, Les industries de la confection, de vêtements pour hommes et de la cordonnerie. les industries à domicile, t.VI, Bruxelles, 1904
"
 Atelier d'usinage du département armurerie de la Fabrique Nationale à Herstal, 1938, Photo Herstal, collection FN.

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