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La faiseuse d'anges et l'évolution des pratiques d'avortement

Page réalisée à partir des travaux de Michèle Decors et Emilie Lamouline

1- Bref survol historique (pour la Belgique, voir la page "l'avortement en Belgique et en Europe")
L'attitude qu'on a eue, dans l'Histoire, envers l'avortement dépend notamment du regard que l'on portait sur l'embryon : s'agissait-il déjà d'un être humain, oui ou non ? Selon que l'on plaçait les débuts de la vie humaine (et pour les Chrétiens, l'apparition de l'âme) à la conception ou à tel ou tel moment du développement embryonnaire, on acceptait ou condamnait l'acte comme crime.
La pratique de l'avortement était déjà répandue dans l'Antiquité comme méthode de contrôle des naissances mais les Grecs plaçaient généralement "l'animation" vers le 40e jour. pour les garçons et le 80e pour les filles. Avant ces étapes, il ne s'agissait donc pas d'une atteinte à la vie humaine. Un théologien comme Thomas d'Aquin situait ce moment au 40e jour également. En fait, la Bible ne dit explicitement rien sur ce sujet.

Pourtant dès le début du moyen âge (aux IV,e Ve, VIe, VIIe s ), plusieurs synodes (assemblées d'Evêques) condamnent l'avortement comme crime, à l'instar de l'homicide, déclarant qu'il mérite donc la même sanction, c'est-à-dire la plupart du temps la peine de mort.
Tant que le Christianisme domine l'ensemble de la société et détermine les normes morales, la position reste inchangée. Charles Quint comme Louis XIV le condamnent comme crime. La peine de mort est remplacée au XVIIIes par la réclusion de 20 années pour l'avorteur(se). Sous Napoléon, en 1810, l'avortement n'est plus assimilé à un infanticide.
1820 : Le code pénal français met dans le même sac celles qui avortent et ceux ou celles qui les aident puisqu'il punit de réclusion les personnes qui pratiquent, aident ou subissent un avortement. Les médecins et les pharmaciens sont condamnés aux travaux forcés.
1920 : Interdiction de la contraception et de l'avortement. Toute propagande anticonceptionnelle est interdite. Le crime d'avortement est passible de la Cour d'assises.
1923: le délit passe dans la juridiction des magistrats de Correctionnelle.
1939 : Création de brigades policières chargées de traquer les faiseuses d'anges.

Sous le régime de Vichy, où la Famille figure parmi les valeurs particulièrement prônées et donc défendues, l'appareil législatif se renforce:
1941 : Les personnes suspectées d'avoir participé à un avortement peuvent être déférées devant le tribunal d'Etat.
1942 : L'avortement est reconnu comme un crime d'Etat puni de mort.
1943 : Une avorteuse est exécutée.

C'est sous la présidence de Giscard d'Estaing, mais dans un contexte qu'il faut situer plutôt au coeur des grands combats féministes affirmés depuis 1968, que le sujet de l'interruption volontaire de grossesse (IVG) apparaît dans les assemblées représentatives.
L'opinion féministe se mobilise et de nombreuses personnalités osent publiquement reconnaître qu'elles ont eu recours à l'Interruption de grossesse, c'est le manifeste des 343 en 1971.
1975 : La loi Veil (du nom du Ministre de la Santé, Simone Veil, auteure de la loi) légalise l'interruption volontaire de grossesse.
1979 : Vote définitif de la loi.

Au fil des années, les circonstances d'intervention et le rôle des avorteuses ont bien changé. Au départ, les conditions furent extrêmement pénibles du fait de l'interdiction d'avorter. Actuellement, l'avortement est devenu un acte libre et reconnu, qui se pratique dans des conditions beaucoup plus acceptables.
Toutefois le sujet reste très controversé.
La position de l'Eglise n'a pas changé, au contraire. Jean-Paul II a fréquemment répété son opposition totale et, en théorie, aussi bien celle qui se fait avorter que celui ou celle qui l'accompagne sont passibles d'excommunication. Le bras de fer entre les centres de planning familiaux chrétiens allemands et le Vatican est une illustration très récente de cette opposition.
Comme souvent dans les sujets éthiques, la position du clergé du terrain est plus nuancée mais ceux qui acceptent le geste ne le font que dans la référence à la doctrine du "moindre mal".

2- L'avortement: changement de définition
En 1913, l'avortement était défini comme suit : expulsion prématurée et violemment provoquée du produit de conception, indépendamment des circonstances de l'âge, de la viabilité.
De nos jours, l'avortement est défini en tant qu'interruption volontaire de grossesse avec expulsion de l'embryon ou de ftus avant que celui-ci ne soit capable de vivre de façon autonome.
Si l'expulsion se produit alors que celui-ci est viable, on parle d'accouchement prématuré, et non pas d'avortement.

3- Moyens d'avortement
Pendant très longtemps, la clandestinité de l'acte eut pour conséquences qu'il se pratiquait dans des conditions déplorables, sans hygiène.
Ces actes étaient effectués par des personnes incompétentes (faiseuses d'anges) sur des personnes voulant se débarrasser à n'importe quel prix de leur grossesse.

En général, les substances abortives populaires étaient inefficaces : le ergot de seigle, le gaïac, le nièvre, la camomille, l'absinthe, le safran...
Il existait des substances actives mais toxiques qui provoquaient la mort du foetus : le plomb, le mercure, le phosphore, l'arsenic, des produits issus du potassium, du chloroforme...
Ces substances pouvaient provoquer des hémorragies utérines qui tuaient le foetus mais aussi mettaient gravement en danger la mère.

Des procédés mécaniques étaient également utilisés :
a- procédés populaires tels que des lavements répétés (à l'eau de javel par exemple) , des bains chauds, des saignées, des sauts à la corde,
b- traumatismes extra ­ génitaux : chocs lors d'accidents provoqués ( voitures,...) , coups sur l'abdomen,
c- action directe sur l'appareil génital : touchers vaginaux répétés, coït abusif, injections vaginales chaudes, cauthérisation du col de l'utérus, massages violents abdominaux pour faire descendre l'utérus, avec comme conséquences des blessures du vagin, du col de l'utérus.

L'utilisation d'instruments divers pour perforer les membranes n'était pas rare : aiguille à tricoter, tringle de rideaux, fil de fer, pointe de ciseaux, sondes de caoutchouc,...
Les avortées mouraient très souvent dans des conditions et des souffrances horribles; ces décès étaient le plus souvent liés à l'infection, à des perforations, parfois à un choc, une embolie pulmonaire foudroyante et une septicémie qui emportaient la femme en quelques heures après les manoeuvres abortives.
Vu que l'avortement était pénalement condamné, peu de médecins prenaient le risque de se voir interdire l'exercice de leur profession et de subir de lourdes peines ( 6 mois à 2 ans de réclusion et 5 ans de suspension, avant 1974).
Ce travail était donc laissé à des personnes dépourvues de toutes compétences et de tous diplômes.
Actuellement, depuis la légalisation en 1975 de l'avortement, celui-ci est un acte médical reconnu, effectué en milieu hospitalier ou dans des centres agréés par des gynécologues qui pratiquent l'extraction du foetus.
Ce sont des spécialistes qui possèdent un diplôme et qui, reconnus de tous, opérent dans de meilleures conditions.

4- Le regard de la société
Aussi longtemps que l'avortement fut officiellement interdit et même s'il était pratiqué de façon clandestine, une partie de la population (la plupart des femmes) acceptait et comprenait les raisons de l'avortement. En effet le rejet d'une fille mère ou d'un enfant adultérin par la communauté était quasi inévitable(voir illustration ci-contre). Il s'est d'ailleurs répandu, non seulement chez les femmes célibataires mais aussi les mariées, mères de famille trop nombreuse ou trop pauvre.
Dans les milieux populaires, les femmes éprouvent peu de culpabilité et s'échangent les recettes, au lavoir public ou dans les couloirs de l'usine. On estime ainsi entre 150.000 à 500.000 le nombre d'actes abortifs posés en France au début du XXes . Et si la législation est très sévère, les juges acquittent dans 60 à 80% des cas.
La condamnation était plus présente dans les milieux bourgeois où l'on pensait que l'avortement étaitla conséquence de l'inconscience des femmes, "qui faisaient n'importe quoi avec n'importe qui."
Mais quand la dénatalité menace le pays, quand la guerre décime la population, le gouvernement réagit, ainsi les lois de 1920 et de 1923. Et même si les poursuites passent des Assises aux correctionnelles, on va par contre poursuivre beaucoup plus souvent, la moyenne des acquittements passant sous les 20%.
Ensuite, peu à peu, la répression se relâche et les natalistes obtiennent la loi de 1939, dite "code de la famille" avant que Vichy n'en fasse un crime d'Etat. Du coup c'est le silence, la peur, la culpabilité qui règnent, ce qui n'empêche malgré tout pas les avortements clandestins de se poursuivre, avec tous les risques; certains chiffres sont effarants : 20.000 à 60.000 décès par an dans les années trente (d'après l'UNCAF).

Après la guerre, si la peur de l'enfant existe encore dans toutes les classes sociales, les risques encourus ne sont pas les mêmes pour les petites ouvrières ou les vedettes du cinéma ou de la littérature.
Bon nombre d'actes se pratiquaient au domicile de la candidate, avec un médecin complaisant ou dans des cliniques privées où les clientes attendaient dans un salon semi ­ obscur pour ne pas être trop tentées de se dévisager.
Car, entre l'interdiction absolue accompagnées de poursuites pénales effectives et la libéralisation, il y a eu, dans de nombreux pays, une période où l'interruption se faisait dans des conditions sanitaires correctes, mais soit dans certains pays moins regardants, soit moyennant un paiement relativement élevé, soit encore dans certains centres de plannings familiaux, travaillant de manière plus ou moins clandestine.
De nos jours, peu de choses sont encore taboues; les jeunes ainsi que les moins jeunes sont mis au courant des moyens pour éviter une grossesse.
Grâce à la loi qui a " accepté " l'avortement, les mentalités ont évolué et l'avortement est une chose dont on peut parler librement.

5- Sanctions
Dans la loi de 1904, reprise par celle de 1920, quiconque provoquait l'avortement d'une femme enceinte, qu'elle ait consenti ou non, était puni de la réclusion.
La même peine était prononcé contre la femme elle-même chez qui sera pratiqué l'avortement si elle a consenti à faire usage des moyens de l'avortement.
La loi de 1920 aggrave même les peines : peine de mort, réclusion à perpétuité pour les avorteuses.
Ex : En 1943, parmi les 3 exécutions de l'année, on trouve une avorteuse qui fut guillotinée.
La loi de 1975 a pu faire disparaître les complications et les morts dus à l'avortement.
Si la loi de 1975 légalise l'IVG, elle réafirme aussi le respect de tout être humain dès le commencement de la vie. Il ne saurait être porté atteinte à ce principe qu'en cas de nécessité et selon les conditions définies par la loi.

6- Bibliographie

Livres
Thierry Paquot, L'état du monde 1984 , La Découverte, Paris, 1984.
Dominique et Michèle Fremy, Quid, éditions Robert Laffont, 1992
Pierre de Locht, la morale conjugale en recherche, Casterman, 1968
R.Letteron, le droit de la procréation, Que sais-je, PUF, 1997
CD
Encyclopédie Microsoft Encarta 2000, Avortement et contrôle des naissances.

Article
Françoise Thébaud, La peur au ventre, dans l'Histoire, n°63, pp.93-98 (y sont reproduites également les 2 illustrations qui avaient été publiées dans l'Assiette au beurre du 13 avril 1907 et du 21 septembre 1907)

Internet
- http://bok.net/pajol/manif343.html

- TROISIER.S, BARGEOT.Ph, GAILLARD.M, GOLD.F, La loi sur l'IVG : avant et après la loi ; 13/05/02; www.inserm.fr/ethique/cours.nsf/63ab8071ff4920d5c125685c002b78bf/ea40a629949fb9e8c12568e70035eff ?OpenDocument
- Librairie L'insomniaque éditeur, Le droit à l'avortement (20mai1908) ; 01/05/02 ; http://rougeinsomnie.free.fr/Net-Rouge/PXGES.html
- Stéphane Berteaux et Le collège Pierre de Ronsart, Le courage de regarder les choses jusqu'au bout, 06/05/02 ; www.studio-inetrnet.com/ecritures41/anniernaux2/
- Sophie Echnez Rédaction Club-Internet, Sur les chemins de l'égalité : contraception, avortement, violences contre les femmes, 06/05/02 ; http://perso.club-internet.fr/la_pie/egalité/dates/datcorps.htm
- Faculté des sciences de l'éducation, Avortement; 23/04/02, www.fse.ulaval.ca/dpt/morale/avort/hist/avhistor.html
- Academie de Nancy-Metz CIEL : Communication et information pour l'école en Lorraine, Histoire de l'avortement, 01/05/02 ; www.ac.nancy-metz.fr/pres-etab/chopin/CD-Rom%20projet%20comenius/avortement.htm
- Encyclopédie francophone Edition Atlas ; Avortement (obstétrique) ; 01/05/02 ;
www.webencyclo.com/articles/articles.asp?IDDOC=000003e4

 

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