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L'abbé Charlier a accompagné un groupe de paysans en révolte. Ils sont partis arracher les jeunes arbres plantés par les communes, sur des terrains que les paysans essartaient depuis des siècles. Cette culture sur brûlis est la seule méthode qu'ils connaissent pour fertiliser des terres particulièrement ingrates et ils n'ont ni les réserves de vivres ni le temps, ni le matériel pour expérimenter des méthodes plus modernes et moins destructrices.
Cette participation du curé, considéré comme un notable qui ne doit pas se compromettre, est jugée sévèrement par ceux de ces paroissiens qui bénéficient d'une certaine aisance et l'un d'entre eux est envoyé le sermonner.
Ce texte est peut-être une des meilleures descriptions de ce que fut la Charité telle qu'elle fut vécue pendant près de deux mille ans, du système de charité qui perdure dans les mentalités bien au-delà du moyen âge et surtout du terrible frein que cette interprétation du message chrétien constitua à une remise en question de l'ordre social, jugé divin.
"Monsieur le curé ! se récria Jean Aubert, du ton que prend un brave père pour morigéner un enfant trop déraisonnable. Vous devez pourtant savoir qu'il y a un temps pour chaque chose. Vous n'ignorez plus à quel point la médisance est puissante. Qui vous empêche d'aimer les pauvres ? Personne ! Mais venez en aide à chaque nécessiteux en particulier, sans jamais vous approcher d'eux quand ils sont en bande. Attendez qu'ils aient besoin de vos secours, attendez que la faim dont ils parlent tant soit vraiment installée, si elle doit venir. Alors, intervenez, nul n'aura le droit de protester. A ce moment-là vous jouerez pleinement votre rôle. Vous serez même l'instrument indispensable pour donner aux indigents tout le fruit de la générosité des autres paroissiens auxquels vous aurez rappelé le devoir de la bienfaisance. Mais si vous prêtez l'oreille à tous ces paysans et à tous ces hommes des bois quand ils sont réunis pour s'exciter mutuellement à sortir de leur résignation nécessaire, alors vous risquez de vous laisser prendre aux fausses raisons qu'ils donneront pour se révolter. Le prêtre est là pour rappeler qu'on ne peut pas bouleverser l'ordre social sans être puni, à la fois dans ce monde - les défenseurs de la loi y veillent - et dans l'autre. Le savez-vous ? Ils ont l'esprit tellement faible qu'ils ont dit partout à Revin: le curé-doyen de Rocroi était avec nous ! Vous devinez quels ravages vous avez causés. Si tous ces gens là se mettent à croire qu'un homme d'Eglise appuie leurs exigences, tout le pays peut se retrouver en état d'insurrection ! Un peu plus, ils verront Jésus-Christ à leurs côtés !
Le prêtre d'abord sombre, avait rdressé la tête peu à peu. Ce fut avec un sourire de vieux paysan têtu qu'il interrogea:
_ Serait-ce donc si ... invraisemblable ? "
Max Vilain, le chemin du curé, Editions de la Page, Hamme-Mille, 2003 - voir aussi le résumé du roman