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Il est des livres qui sont à mi-chemin du roman, de l'histoire et de l'autobiographie. Mémoires d'auteurs aujourd'hui seniors ou décédés il y a quelques années, ces oeuvres nous racontent, avec plus ou moins de liberté, un pan d'enfance. On y trouve souvent une multitude de petites observations qui recréent, avec énormément réalisme, ce que pouvait être la vie d'un gamin ou d'une jeune fille, il y a 30, 50 ou 75 ans. Il me semble qu'il y a là une manière très riche d'entrer dans la compréhension du monde d'autrefois. Ce type d'écrits rencontre aussi un objectif du cours d'Histoire, à savoir porter un regard plus nuancé sur les situations d'aujourd'hui en ayant sur hier une meilleure information.
Récits d'enfance, il ne sont pourtant pas toujours destinés à de jeunes lecteurs. Parfois romancés, il ne s'agit pas vraiment de romans car on situera ce type d'écrits plutôt dans la catégorie des témoignages, ce qui les rend d'autant plus précieux. On ne s'étendra pas sur des classiques comme les ouvrages de Marcel Pagnol ou de Robert Sabatier (la belle suite les allumettes suédoises, les sucettes à la menthe, les noisettes sauvages et les fillettes chantantes) mais on cherchera des écrits d'auteurs plus modestes ou des oeuvres moins connues d'auteurs confirmés.
Commençons pas un milieu qu'aujourd'hui des millions d'ados rêvent de connaître, je veux dire l'école des sorciers et plongeons-nous dans "Moi Boy" (que l'on peut poursuivre avec intérêt par "Escadrille 80") du célèbre auteur de "Charlie et la chocolaterie", Roald Dahl. Parmi d'innombrables souvenirs aussi comiques qu'effrayants, quelques dizaines de pages sont consacrées à ses études durant les années 1930/1940 dans un collège anglais, qui n'a presque rien à envier à celui de Poudlard.
Dans "Montedidio" d'Erri De Luca, le narrateur a 13 ans; nous sommes à Naples en 1945 et la vie est dure, parce qu'on est pauvre, parce qu'il faut apprendre un métier et aider le père à faire vivre la famille, parce que maman s'éteint doucement... Mais la vie est belle aussi parce que Maria lui sourit et que l'amour l'attend.
Proche de chez nous, René Henoumont recrée la banlieue liégeoise dans les années 20, les bagarres de l'école primaire de la Préalle aux pieds des terrils, les vacances à Hamoir, les leçons de pêche au bord de l'Ourthe et les premiers émois de ses 12 ans, dans "un oiseau pour le chat". Quelques scènes, comme les bagarres entre gamins armés de tessons de bouteilles et de planches à clous, ou "la bande des Polonais" qui assassinent les gardiens des charbonnages les jours de paie, resituent la violence scolaire et la criminalité d'aujourd'hui dans un autre cadre ...
Véritables mémoires cette fois, que l'on voudrait pourtant croire de fiction, "les chatons gelés" de Marcel Leroy racontent la vie d'un gamin obligé de grandir très vite parce que sa famille, nombreuse, ne peut survivre avec le seul salaire du père. On part avec lui dans la nuit et la neige pour rejoindre l'ardoisière où il travaille comme un homme. On suit ses aller-retour entre l'école et le travail, selon la saison, le budget familial ou la tolérance de l'instituteur. Non, nous ne sommes pas en Angleterre au 19es mais dans les Ardennes belges entre 1920 et 1930. Edifiant !
Un peu plus jeune qu'Henoumont, Albin-Georges Terrien, instituteur né à Engreux en 1934, nous a livré un merveilleux bouquin avec son "Vive la guerre" qui, comme son titre le laisse supposer, se déroule entre 40 et 45. C'est peut-être celui que j'ai trouvé le plus facile à utiliser en classe, dès 9, 10 ans, et surtout le plus à même de susciter réflexions sur l'histoire, l'évolution des moeurs, du travail, des idéaux. Il y a des pages inoubliables sur le catéchisme et la préparation à la première confession. Que celui qui n'a jamais fait son acte de contrition aille découvrir les inepties qui furent enfoncées dans les chères têtes blondes, à cette époque où l'enfer était toujours derrière la moindre peccadille. Ces pages-là sont un chef- d'oeuvre de drôlerie. Mais sur le même thème, celui de la dictature de la religion, on en découvre d'autres qui glacent d'horreur, comme les enterrements sans prêtre, sans prière, sans place au cimetière du village, des pauvres nouveaux-nés morts sans baptême. Peut-être salutaire de s'en souvenir quand on se moque si facilement de l'obscurantisme d'autres religions. Car si Dieu nous a créés à son image, nous le lui avons bien rendu, comme disait à peu près Voltaire et comme le souligne plusieurs fois A-G. Terrien.
Henri Van Daele, auteur de livres pour enfants, a réalisé en 1981 un livre de commande (pour la caisse d'épargne An-Hyp et la maison d'édition Lannoo), mais il a surtout réussi un beau petit recueil de témoignages. "Lorsque grand père était enfant" se situe en Flandres, chez les petits, les humbles, voire les vrais pauvres où l'on travaille tôt et beaucoup, où l'on mange peu, où l'on a souvent froid. Il a interviewé de nombreux anciens nés avant la grande Guerre et a mis en musique leurs souvenirs, enchaînant et entremêlant leurs vies, recréant avec précision les images qu'ils avaient évoquées. Agréable à lire et bourré de détails évocateurs.
Dialoguiste, écrivain inventif et prolifique, Pascal Jardin livre une oeuvre d'un tout autre genre dans "la guerre à neuf ans". Fils de Jean Jardin, dit "le nain jaune", qui fut le collaborateur discret de Pierre Laval, le héros est âgé de 5 ans à la déclaration de guerre. Il en suit le déroulement de manière toute particulière. Il doit alors, suite aux évènements tragiques qu'il traverse, renoncer à l'innocence qu'il essayera de retrouver des années plus tard.
Rappelons Joseph Joffo pour "un sac de billes" et "babyfoot" dont nous avons parlé à la page des romans historiques.
Concluons provisoirement sur une vision comico-poétique (ou poético-comique) de l'école primaire dans les années 60 avec la série des Petit Nicolas de Sempé et Goscinny. Un amusant travail de comparaison pourrait être effectué par nos Lolitas et autres "Star Academy addicts" d'aujourd'hui...
Il me faut accorder une petite place à part à deux livres, à la fois récits de vie et interviews dont parfois le texte fut retranscrit tel quel, ce qui met ces oeuvres à mi-chemins de la biographie et de l'autobiographie. Il s'agit de Suzanne Prou, le dit de Marguerite (celle-ci étant la mère de l'auteure) chez Calmann-Lévy et de Serge Grafteaux, Mémé Santerre chez J.P.Delarge. Le formidable intérêt de ces deux ouvrages ne réside pas dans une exceptionnelle qualité d'écriture ou une existence bourrée de péripéties inattendues. En fait je les ai dénichés dans une bourse aux livres et c'est de retour chez moi que j'ai réalisé que les deux femmes étaient de parfaites contemporaines, mais de latitudes et de milieux socio-culturels différents. En effet, Mémé Santerre est née en 1891 dans un tout petit village de la région d'Avesnes où l'on survivait avec des journées de 15h, dès 6 ans, en hiver attachée au métier à tisser domestique et en été dans les immenses champs de la riche Normandie. Une vie sans repos, sans aucun luxe, déchirée par les guerres et les deuils et pourtant une vie de joies, frêles, rares mais tellement précieuses. Une époque aussi où l'on voit les travailleurs passer avec hésitation de l'obéissance, à laquelle ils ont été drillés par le patron et le curé, à la résistance puis à la lutte collective Marguerite Rimbaud est née au soleil de la Provence en 1895, à l'étage au-dessus de la boulangerie familiale. Les ressources sont moins rares mais l'épargne, l'ardeur au travail, la rudesse de la morale sont tout aussi présents que chez Mémé. Ce sont des textes très faciles à lire, pleins d'anecdotes et de détails imagés, recréant le travail, mais aussi les études, les amours, les maternités, les maladies, bref toute une époque qui revit sous nos yeux. Des extraits peuvent certainement être analysés dès la fin du primaire. |