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L'histoire proche dans le quotidien
Les romans d'Armel Job

Le travail social a ceci de particulier qu'il force à la rencontre, avec d'autres cultures, d'autres valeurs, d'autres modes de vie. Et cette rencontre met à mal nos propres évidences, celles qui nous font croire que notre culture, nos valeurs et notre mode de vie constituent ce qui est "normal", voire ce qui est "bien".
Un des rôles du cours d'Histoire sociale est de montrer que nos comportements et nos références ne sont pas gravés de toute éternité dans le cerveau humain mais qu'ils sont le fruit d'un contexte, lui-même construit à petites touches ou grosses louches au cours des ans et des siècles. Et donc que, sous d'autres cieux, à d'autres époques, on pensait, vivait, croyait tout autrement. Ce qui doit permettre de relativiser nos normes et les remettre à leur place, très contingente et susceptible de se modifier, parfois rapidement et, je l'espère, nous rendre plus désireux de comprendre le pourquoi des habitudes ou valeurs d'autrui, éviter les jugements rapides, qui sont évidemment peu utiles dans le métier d'AS.

Comme je l'ai souvent souligné, une porte d'entrée dans la découverte de ces autres mondes, en espace ou en temps, se trouve dans les romans quand ils reposent sur une documentation costaude ou un vécu intelligemment exploré. A d'autres endroits de ce site, j'ai mis en évidence quelques-uns de ces auteurs qui ont composé des autobiographies fictionnelles, où l'expérience personnelle l'emporte sur la trame romanesque.

Ce n'est pas le cas d'Armel Job mais il est évident qu'il puise ses décors et ses personnages dans un creuset qui l'a façonné. Ses villages, ses cultivateurs, ses paysages, il les explore comme la poche de son aube d'enfant de choeur. C'est pourquoi dans chacun de ses ouvrages, mille et un détails recréent avec précision les rythmes, les sons, les odeurs de toute une vie que les plus de 50 ans reconnaitront mais qui, même pour eux, semblera tellement désuète ! Car c'est en comparant cette histoire somme toute fort récente avec la manière dont nous vivons en ce 21ème siècle qu'on percevra le mieux l'énorme évolution effectuée en deux générations seulement.

C'est dans ce monde rural, à la fois feutré et brutal, que se déroulent mes histoires préférées. La trame en est variée : énigmes policières, règlements de comptes tardifs, secrets de famille, anciens affrontements ressuscités par hasard (ou réveillés à dessein ?). L'auteur connait les mécanismes du récit, qui enchaîne découvertes fortuites, déductions prudentes et rebondissements inexpliqués mais autant que pour connaître "la fin de l'histoire", on tourne les pages pour s'enfoncer plus encore dans ces atmosphères si bien dessinées, jusqu'à éprouver l'étrange impression d'être à la fois spectateur étonné et acteur impliqué.

Les raisons qui me font aimer les romans d'Armel Job, ce mélange de familier (les valeurs, les rites, les lieux) et d'exotique pour moi qui suis une vraie fille de la ville, n'expliquent pas pourquoi les jeunes les aiment aussi (deux fois prix des Lycéens pour Héléna Vannek en 2003 et tout récemment tu ne jugeras point ). Choisissent-ils la simplicité du style, le suspens bien réel, l'humour pince sans rire, le décalage interplanétaire entre la vie décrite et la leur, dans des pages qui, en plus, ne sont pas trop nombreuses ? On peut trouver mille explications mais je me contenterai de m'en réjouir, pour lui, pour la littérature francophone de qualité et pour les profs. chargés d'éveiller les goûts des têtes blondes et visages boutonneux pour la lecture.

En ce qui nous concerne, un aspect particulièrement intéressant pour de futurs travailleurs sociaux est l'importance du contrôle social qui règnait dans nos sociétés d'avant Mai 68. Le retrouver à l'oeuvre dans ces romans permet de comprendre ce qui se passe encore dans certains quartiers de nos villes aujourd'hui.
Ainsi le village que nous décrit l'auteur est certes solidaire - car ce qui touche Alfred pourrait abattre Ernest - mais il est aussi soumis à la surveillance de chacun qui épie, découvre, déduit, colporte et exclut tout qui ne rentre pas rigoureusement dans les normes.
On s'épaule entre membres de la communauté et en être membre, c'est en respecter les règles, religieuses, morales, sociales. Si on comprend cela, on comprend aussi pourquoi ce que nous avons gagné en liberté de moeurs et de choix de vie, nous l'avons perdu en solidarité.

Enfin, sous l'angle strict de l'Histoire, on mettra en évidence les thèmes susceptibles d'enrichir notre réflexion dans ce domaine: la 2de Guerre mondiale et la Résistance (Baigneuse nue sur un rocher, le Commandant Bill) , la Shoah et ses conséquences chez les survivants (les eaux amères), la religion dans la vie campagnarde et l'arrivée de la laïcisation (la malédiction de l'abbé Choiron), l'exode rural et le drame des jeunes hommes en mal d'épouse (la femme manquée), la stratigraphie sociale, (inter)dépendance et loyauté (le conseiller du roi) ...
S'arrêter là serait réducteur car s'il est évident que le moment et l'endroit où s'inscrit l'histoire est important, c'est dans l'habileté avec laquelle Armel Job noue les liens entre le particulier, l'anecdotique, le contextualisé et ce qui nous parle, parce que simplement mais profondément humain, qu'on trouvera l'intérêt de le découvrir et le plaisir de le suivre.

En savoir plus ?
http://www.servicedulivre.be/sll/fiches_auteurs/j/job-armel.html
http://www.culture-enseignement.cfwb.be/index.php?id=274

Portrait d'Armel Job, La Meuse, 15 février 2011,
dans un article à propos de la sortie des eaux amères.

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