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Extraits du projet "Je me souviens"

Entre janvier et mars 2004, les étudiants ont été invités à participer à un petit projet inspiré du livre de Georges Perec, "je me souviens". Il s'agissait, pour chacun, de ramener 20 souvenirs d'enfance ou d'adolescence provenant de 3 générations différentes. Ils sont donc partis interviewer des personnes de leur entourage dont les seuils d'âge se situaient autour de 30, 50, 70 ans et plus.
Ces souvenirs, comme ceux exprimés par Perec, devaient avoir une double caractéristique: être personnel et donc avoir été vécu réellement par un individu précis mais en même temps, pouvoir éveiller un écho chez ceux de la même génération.
Dans une deuxième étape, collective cette fois, les étudiants répartis en 12 groupes de 15 environ ont confronté durant 2 heures leur récolte et ont sélectionné les souvenirs qui leur semblaient rejoindre le mieux les caractéristiques demandées.
L'évaluation écrite et anonyme de cette activité obtint un score positif stalinien puisqu'il y eut 2 étudiants peu convaincus et plus de 150 enchantés de la démarche, tant dans les interviews que lors de la séance en sous-groupes.
Deux apports principaux sont à épingler
- l'activation de liens inter-générationnels grâce à l'intérêt suscité par les récits des plus âgés, un intérêt qui a duré au-delà du travail et s'est concrétisé par des échanges plus nombreux, plus personnels sur les valeurs, la qualité de la vie, l'engagement, le courage, les luttes sociales, l'immigration, l'insécurité, etc....
- La prise de conscience très forte et très concrète chez la plupart des étudiants de l'évolution de la société, avec, comme conséquences, une capacité d'analyse plus fine de notre époque et une argumentation plus nuancée quant aux faits sociaux d'hier et d'aujourd'hui.

Cette page ne reprend pas l'ensemble des 500 "flashs" sélectionnés. Certains d'entre eux seront insérés ci ou là dans les autres pages, selon les thèmes abordés, lorsqu'ils permettront d'apporter un éclairage du vécu. Mais puisque nous fêtons le 60e anniversaire de la Libération, il m'a semblé intéressant de rassembler les souvenirs de 40-45, tels qu'ils ont été vécus par les enfants et les ados d'alors.

1. La guerre éclate brutalement et provoque, suite aux récits des anciens sur la cruauté des Ulhans de 14-18, un exode précipité. Tous en parlent

- pendant la débacle, alors que j'étais si jeune (j'avais 7 ans) et que j'avais la garde de mes 3 petites soeurs, une grande frayeur nous submergea. Nous nous étions réfugiées dans la cave, terrorisées par ce déferlement de mitrailles. Nous nous réconfortions en se serrant très fort les unes contre les autres.
- à la déclaration de guerre, j'habitais près de la gare des Guillemins qui fut très bombardée. Nous sommes donc partis, toute la famille, dans la Citroën 15CV. Paniquée, ma mère partit en tablier avec sa lampe de chevet.
- quand la guerre a éclaté, ma mère, mon petit frère (6 ans) et moi (10 ans) sommes partis vers la France. Je transportais mon frère assis sur la barre de mon vieux vélo, sans changement de vitesse. Ma mère avait les valises. On a été jusqu'à Avesnes où les combats nous ont rejoints. Ensuite, on est revenu chez nous, près de Bomal..
- lorsque notre village d'Heure le Romain a été évacué, nous nous sommes réfugiés dans un village à 40km de là, que nous avons quitté à pied, la nuit. 8 jours après, rentrés au village, nous avons découvert que les maisons et les magasins avaient été pillés.
- les gens se jetaient dans les fossés quand les bombes tombaient
- nous avons été chassés de la maison; nous avons marché jusqu'au village à côté et là nous sommes restés 3 semaines sans nous changer. Ma mère a dû couper mes chaussures avec un canif pour me les enlever (6 ans)

2. Quand les hostilités s'arrêtent sur notre territoire arrive le temps de l'Occupation. Les enfants courent ou se cachent pour éviter obus, rafales de balles, patrouilles de SS. Ils vivent dans les caves, les grottes, la plupart du temps dans l'obscurité. La peur est devenue leur compagne quotidienne.

- j'ai passé la plus grande partie de mon adolescence dans les caves pendant l'occupation allemande. J'en garde un souvenir de peur et d'insécurité avec tous ces obus qu'on entendait siffler.
- sur notre chemin pour aller à l'école, les balles sifflaient à droite et à gauche; nous ne connaissions rien d'autre pendant longtemps.
- lorsque nous sortions des trains, c'était la pagaille car les routes étaient noires de monde et les avions nous mitraillaient. J'ai vu tous ces gens blessés et tués, c'était horrible (12 ans)
- les écoliers étaient envoyés en catastrophe dans les caves de l'école, dès qu'il y avait une alerte. Nous avions tous peur d'être enterrés vivants.
- je me souviens avoir chipoté une grenade avec un copain. je me suis caché pour ne pas être blessé et quand je suis revenu, j'ai trouvé mon copain vivant mais tout noir !
- nous dormions et habitions dans les caves mais on remontait dans la maison au 2e étage pour regarder les combats d'avions entre la RAF et la Luftwaffe.
- La cave de la maison avait été aménagée: on y avait notre coin cuisine, une table, un lit et un pot d'encre car maman voulait m'apprendre à lire et à écrire malgré la guerre.

3. Très tôt les enfants doivent contribuer à la survie de la famille. Très tôt ils apprennent à se dissimuler, à mentir à l'ennemi ou même à des connaissances suspectées de collaboration, à voler aussi pour se nourrir, car la faim est omniprésente. Même si, certains métiers permettent mieux que d'autres d'y échapper.

- comme mes deux frères étaient à la guerre, je devais aider mes parents à cultiver nos champs; je conduisais la charrue et pour une fille de même pas 15 ans, c'était très difficile.
- quand la guerre a commencé, tous les agriculteurs de mon village ont caché leurs réserves de céréales.
- je me souviens des cages que mon papa avait construit afin de cacher des poules, des lapins, des cochons... J'ai vraiment eu de la chance car je n'ai jamais eu faim pendant la guerre.
- je prenais les petits chemins pour ne pas passer aux postes frontières placés par les Allemands et je ramenais du beurre ou d'autres denrées afin d'améliorer notre quotidien (18 ans)
- il n'y avait pas assez de nourriture pour tout le monde. Il fallait aller dans les campagnes pendant les récoltes pour voler de quoi manger
- avec ma petite soeur, on partait à pieds à travers les champs pour aller chercher à manger dans les fermes des villages voisins (12 ans)
- j'allais à Bouillon avec mon papa pour trouver des pommes de terre. On partait de Barvaux et on s'y rendait à vélo (10 ans).
- la nuit, j'ai été voler des pommes de terre avec mon père dans les champs. Mon père m'a dit : ce n'est pas bien ce qu'on fait, mais je ne peux pas voir ta maman avoir faim.
- dans notre champ de patates, qui ne produisaient quasi rien, on montait la garde la nuit, avec mon père et mes frères, pour éviter de se faire voler.
- nous avons parcouru 100 kms en vélo pour avoir du fromage et de la farine. Il nous a également fallu 8 jours de marche pour aller de Burdinne à Maubeuge. C'était l'enfer, j'avais peur , je voyais des morts partout sur les routes.
- pendant la guerre, tous les prix avaient augmenté; il était devenu difficile de se nourrir. Mon père avait donc décidé d'envoyer mon frère de 19 ans chercher 15kgs de beurre salé en Ardenne. Ce trafic était illégal et, pour ne pas attirer l'attention des Allemands, à 7 ans je devais l'accompagner en train.
- on allait de Juzaine (près de Bomal) à Ciney en tirant un chariot avec des roues en bois pour aller chercher des rutabagas (11 ans)
- on allait glaner aux champs pour ramasser le reste des récoltes. Une fois on s'est fait voir et on s'est vite enfuis pour ne pas être attrapés.
- avec toutes les filles du village, pendant les étés de guerre, nous allions glaner. Nous attendions que le sifflet du gardien retentisse pour nous précipiter afin de ramasser les épis tombés. Que ce soit de l'avoine ou du froment, on récoltait tout.
- nous n'avions pas grand chose à manger et un jour que nous venions de souper, ma mère m'a demandé si j'avais aimé ce que je venais de manger; je lui ai répondu oui et elle m'a avoué que nous avions mangé du chat !
- nous n'avions plus rien à manger et une nuit, je me suis réveillée parce que j'avais entendu du bruit. Je suis descendue à la cave et il y avait au moins 100 lapins ! J'ai appris par la suite que c'était mon frère qui avait été les voler au fermier.
- pendant la deuxième guerre, mes frères et moi sautions sur les trains en marche. Nous ouvrions les portes et on faisait tomber le charbon pour pouvoir nous chauffer (9 ans)
- la nuit, je devais aller voler du charbon pour nous chauffer chez .. les Allemands !
- pendant la guerre, on avait de jolis savons verts. Ils étaient si légers qu'ils flottaient sur l'eau; on les appelait d'ailleurs flotteurs. De plus, ils ne savonnaient pas bien mais nous n'avions rien d'autre et il fallait s'en contenter.
- pendant la guerre, je travaillais à l'atelier de 7h jusqu'à 22h et à cause des bombardements, il fallait occulter les fenêtres (14 ans)

4. La cohabitation se fait vaille que vaille, cohabitation à laquelle les jeunes doivent participer parfois très activement.
Le comportement des soldats allemands entretient l'inquiétude car il peut varier de la froide cruauté à la réelle gentillesse.

- quand j'étais jeune fille, je devais chaque soir encore après mon travail à l'hôtel, laver le linge des soldats. Il y avait chaque jour 2 bacs à linge remplis que je devais laver à la main.
- parfois les soldats nous donnaient du chocolat
- ma mère a eu une grave pneumonie. Les soldats lui ont donné des médicaments et grâce à eux, elle a survécu.
- je me souviens des jeunes soldats allemands du Génie, qui reconstruisaient le pont de Bomal sur l'Ourthe. Ils utilisaient des troncs d'arbre et le travail avançait vite car ils étaient très efficaces et disciplinés.
- je me souviens d'avoir été effrayée à l'âge d'environ 4 ans lorsqu'un soldat s'est jeté sur moi pour me sauver la vie alors qu'une bombe avait explosé à proximité.
- 2 soldats allemands sont venus loger à la maison. Même s'ils étaient gentils, ils m'ont impressionnée avec leurs fusils.
- un jour des Allemands ont contrôlé notre maison. On venait d'abattre le cochon parce qu'on n'avait plus rien à manger mais l'abattage était interdit. Alors on a déguisé le cochon avec des vêtements de femmes et on a l'enfermé dans les toilettes (pour comprendre la scène, il faut imaginer un WC avec une porte en bois qui ne cache pas le bas)
- je me souviens du cochon Adolf élevé dans la cave chez mon amie durant la guerre. Il était interdit d'avoir des cochons, il fallait déclarer que nous n'en avions pas sous peine d'être réquisitionnés.
- en revenant de l'école, j'ai croisé des Allemands et pour me faire peur, on a tiré à blanc sur moi. Je courais et hurlais à la mort (10 ans)
- on devait produire une certaine quantité de fromage, de beurre, de pommes de terre, ... pour donner à la Commune, qui les redistribuait aux gens. Chez moi, à la ferme, on ne pouvait garder qu'une certaine quantité pour nous.
- je me souviens des cavaliers allemands qui le soir bichonnaient leurs chevaux au bord de l'Aisne. Ils étaient torse nu, bien bâtis, avec des hautes bottes et je ne pouvais m'empêcher de leur trouver fière allure.
- pendant la guerre, on parlait ou on chantait en wallon pour que les Allemands ne comprennent pas.
- je me souviens des soldats allemands qui mangeaient leur soupe, assis sous une bache, dans leur camion.
- un jour un soldat allemand est venu me chercher alors que je jouais au foot avec les jeunes du village. Il m'a emmené à la boulangerie et m'a offert un pain pour ma famille. Ca m'a marqué (10 ans)

5. La Résistance se crée et nos témoins sont spectateurs ou acteurs malgré eux de gestes héroïques et dangereux. Les papas sont prisonniers, les grands frères se cachent pour ne pas être envoyés en Allemagne. Dans plusieurs familles, les enfants font aussi connaissance avec les parachutistes américains qu'il faut cacher.

- ma mère souffrait énormément de l'absence de mon père et a tout fait pour que je ne parte pas combattre (15 ans).
3 petits flashs de cette vie dans les stalags:
- pendant ma captivité, nous avions de l'eau jusqu'aux genoux; c'est pourquoi nous ne pouvions jamais nous asseoir par terre. Nous dormions debouts et nos doigts de pieds mouraient de froid.
- après la guerre, je ne voulais plus manger de chou tellement j'en avais mangé en Allemagne.
- à la fin de la guerre, un voisin, ancien prisonnier raconta ceci : un jour, dans mon baraquement une balle est entrée en traversant une paroi où figurait sur un tableau les noms des gens de la chambrée. Dans sa trajectoire, elle a perforé le nom d'un prisonnier et finit sa course en le tuant !
Plusieurs témoignages concernent "l'armée blanche" branche des réseaux de Résistance.
- l'armée blanche faisait des huttes dans les bois et lorsqu'ils voulaient manger ou qu'ils avaient besoin de quelque chose, ils allaient voler les gens du village (bêtes, outils, ...).
- j'ai fait des chemises pour l'armée blanche, dirigée par le commandant Bill (chef de l'armée blanche et d'un bataillon russe).
- les garçons qui faisaient partie de la Résistance charmaient les filles car elles les considéraient comme des héros.
- je me rappelle de Pierre: il disait qu'il faisait partie de la Résistance mais dès qu'il voyait une guêpe, il partait en courant !
- je devais aller porter le dîner aux réfractaires qui se cachaient.
- je me souviens de mon départ pour les Pyrénées françaises avec d'autres camarades au moment où les Allemands ramassaient les jeunes hommes pour aller travailler dans leurs usines d'armement (18 ans)
- un jour un pilote américain, sans doute atteint par la DCA est forcé de descendre en parachute.Sitôt recherché par l'occupant, il est pris en charge par une patriote qui le cache dans une garde-robe chez son fiancé. Le comble est que, suite à un orage en fin de journée, les Allemands ont été heureux de pouvoir s'abriter dans cette ferme précisément, sans s'imaginer que leur proie était là!
- à la fin de chaque émission de la radio anglaise, le présentateur s'exclamait " Courage ! on les aura, les Boches !"

6. Les derniers mois de guerre sont marqués par une recrudescence des attaques aériennes et de la violence de l'ennemi face aux actes terroristes.

- un jour, alors que rien ne le laissait prévoir et que, presque paisiblement je coiffais ma petite soeur en tressant ses longs cheveux dorés, nous fûmes secoués par un bruit sourd et un souffle infernal qui nous projeta à l'autre bout de la pièce. C'était un obus de la DCA qui éventrait la cour à quelques pas de nous. Notre haute et large fenêtre en fer et en verre s'écrasa à nos pieds, nous épargnant miraculeusement.
- à la fin de la guerre, les Allemands ont mis le feu à quelques fermes du village en apprenant qu'on aidait l'armée blanche. Ils sont ensuite venus à la maison et nous ont tous mis au mur en disant : "moi méchant ! vous tous au mur!". Mais heureusement ils n'ont tué personne.
- les Allemands avaient fait un front avec des tanks juste devant la maison et les canons étaient dirigés vers nous.

7. Arrivent enfin le débarquement et l'avance alliée. Les G.I. se lient avec les familles: les jeunes filles dansent au son des trompettes de jazz, leurs petits frères mâchonnent sans fin les chewing-gums, les plus grands aspirent la fumée des cigarettes rationnées et enfin tous dégustent le chocolat... Pour d'autres, c'est le temps de l'Epuration et des brimades.

- Je fréquentais alors la 1ère année primaire.Dans la petite ville de Herve où j'habitais, il y avait des drapeaux tricolores qui "sortaient" des fenêtres de toutes les maisons. Maman nous avait garni les cheveux avec des rubans tricolores. Elle avait aussi confectionné des cocardes dont elle avait garni tous les vêtements de la famille. Je n'oublierai jamais la robe de ma petite amie Marie-Thérèse dont la maman tenait une mercerie: elle était entièrement confectionnée avec des rubans tricolores et j'aurais aimé avoir la même !
Il y avait la foule dans les rues, les gens couraient dans tous les sens, s'embrassaient et riaient.Dans la soirée, devant l'hôtel de ville où tout le monde s'était rassemblé, on a brûlé l'effigie d'un bonhomme (le garde- champêtre, je crois), car il avait beaucoup pactisé avec les Allemands. C'était la libération.
- à la Libération, ma maman accueillit un américain qui vivait sur le champ militaire à côté de chez nous. Un jour, il va dans la salle de bain pour se laver les mains. J'étais fascinée par sa peau de couleur noire.En se lavant, il émet une phrase que mon père traduit "j'ai le visage poussièreux par la route". E je me suis dis "comment peut-il voir que sa figure était sale ? "
- en revenant dans notre maison, j'ai découvert une balle incendiaire qui avait traversé le toit pour se loger dans une armoire à linges. Heureusement elle ne s'est pas enclenchée. Impressionné, je regardais souvent le trou dans la porte de l'armoire en imaginant le désastre si elle s'était enclenchée.
- il y avait dans le village une dame qui dénonçait les Belges. J'étais devant l'église lorsque 3 coups de feu ont retenti de la maison de cette dame qui venait de se faire tuer par un soldat belge.
- à la Libération, nous faisions du porte à porte pour demander de la nourriture et nous allions à la gare accueillir les prisonniers qui revenaient d'Allemagne. Ils étaient tout maigres, je m'en souviens encore (20 ans)
- je n'ai pas voulu embrasser les Américains comme toutes les autres femmes car mon mari était toujours sous l'emprise des Allemands.
- j'étais sur le seuil de la maison tandis que des soldats allemands descendaient la rue. Mais croyant que c'était des américains, je leur ai fait signe !
- je me souviens de l'entrée des troupes américaines à Bastogne. je devais me cacher pour échapper aux Allemands qui se trouvaient sur une route parallèle et qui tiraient des coups de feu.
- quand les Américains sont passés dans le village, tout le monde cousait des drapeaux américains, anglais et français.
- Des Américains stationnaient dans le champ en face de la maison. j'allais leur porter des tomates et en échange je recevais des chewing-gums, les premiers; je devais avoir 10 ans.
- ma soeur a reçu ses premiers bas nylon d'un soldat américain.
- à 12, 13 ans, j'ai découvert les soldats noirs américains qui nous donnaient des chewing-gums. Mon grand-père m'a appris à danser dans le café qu'il tenait au village.
- le jour de la Libération, je n'ai jamais entendu tant de sons de cloche en même temps. j'ai l'impression qu'elles ont sonné presque tout l'après midi.
- Vive la Libération, Vive la Libération ! J'ai tellement hurlé ces mots lorsque les Allemands sont partis qu'ils sont gravés dans ma mémoire.
- Les Américains de couleur noire nous faisaient peur au début car nous n'en avions jamais vu. Mais après avoir parlé avec eux, ils nous ont semblé très sympathiques ; j'ai même dansé le boogie avec l'un d'eux. (14 ans)
- je me souviens des larmes de bonheur de ma mère quand mon père est revenu avec du fromage à la maison pour fêter la fin de la guerre et nos retrouvailles.
- quand mon père est revenu après 5 ans de captivité en Allemagne, je ne le reconnaissais pas.
- je me souviens des jours où je me rendais sur la place du village lorsqu'on ramenait les prisonniers belges blessés ou malades dans l'espoir de revoir mon papa.
- à la fin de la guerre, avec ma classe, on faisait le tour du village avec des drapeaux en chantant l'hymne national. (9 ans).
- en septembre 44, après le débarquement, les alliés sont arrivés au village de Trois-Ponts qui se trouve à l'intersection de 3 rivières. La poutrelle principale de la maison de mes parents était ancrée dans l'arche d'un pont. Lorsque les Allemands firent sauter le pont, la poutrelle est restée en suspension et fait levier. La maison a été très abîmée, elle a dû être démolie puis reconstruite seulement en 1948.
- à Huccorgne, près de Huy, j'ai vu arriver les Américains, j'avais 6 ans; ils sont venus s'excuser auprès de ma maman car ils avaient cassé avec leur char le mur qui séparait la maison de la rue. Maman les a invités à prendre un café. Ils ont accepté et nous ont donné, à mes 2 soeurs et à moi, des chocolats et des chewing-gums.
- je me souviens de l'américain qui m'a donné une chique et une orange (4 ans !)
- il y avait une joie débordante ce 7 septembre 1944 quand les soldats américains sont arrivés dans notre village. Place, rues, prairies étaient envahies par ces sauveurs venus remplacer les troupes allemandes parties depuis 3 heures à peine.
- je me souviens de l'arrivée des libérateurs, des gens en liesse dans les rues, les drapeaux belges aux façades, des hommes et surtout des femmes inciviques. Ils passaient devant la foule qui les huait, on les groupait sur l'arrière de vieux camions. Dans l'arrière-cour d'un café, on tondait la chevelure des femmes. Nous ne comprenions pas ces choses humiliantes.

8. Si en France les combats sont terminés lorsque les armées des libérateurs sont passées, il n'en est pas de même chez nous, au moins dans 2 grandes villes, Liège et Anvers qui découvrent les "robots", càd les V1 et les V2., avant que von Rundstedt ne remette le feu aux Ardennes.

- Quand on n'entendait plus le V1 siffler et que sa flamme était éteinte, on était sûr qu'il était en train de s'écraser.
- on était cachés dans la cave avec ma mère; la maison a été complètement démolie par un V1. J'ai eu une fracture du crâne à cause du cadre d'une fenêtre qui m'est tombé dessus.
- un V1 qui était destiné à tomber en plein dans le village, on avait suivi sa trajectoire des yeux, s'est miraculeusement dévié; il est tombé à quelques pas de ma maison chez mes voisins. Je me vois courir avec ma mère derrière les Américains pour aider ces pauvres gens; Ils étaient remplis d'éclats dans les yeux et les vitres du voisinage étaient complètement éclatées.
- j'étais partie chez une amie et je suis revenue en courant chez mes parents car j'avais entendu un énorme bruit; c'était un robot qui s'était écrasé derrière chez moi et, avec le souffle de l'explosion, il avait arraché tout l'arrière de la maison (fenêtre, porte, toit). Après cela nous avons dormi dans la cave de peur qu'un deuxième robot vienne s'écraser.
- je me souviens de ces 6 corps allongés sur un estrade de l'école du village, victimes innocentes d'une bombe volante tombée dans la rue y détruisant 3 maisons.
- quand les V1 et les V2 tombaient sur Liège, durant les mois d'octobre et novembre 44, certains jours les classes étaient suspendues et mes parents décidaient de nous faire rentrer à la maison
- pendant l'offensive von Rundstedt, les Allemands avaient installé des canons derrière chez nous. De là ils bombardaient Rochefort qui fut fort détruite. A la fin de cette période, on a entendu les pas de quelqu'un qui courait: c'était un jeune Allemand. On s'est aperçu qu'il avait perdu un petit pain tout moisi sur la route. Il n'avait sûrement plus rien à manger. On a eu de la peine pour lui car il n'avait rien demandé.
- pendant l'offensive des Ardennes, tout a été rasé; dans les champs et dans les étables, toutes les bêtes étaient mortes.
- en décembre 44, pendant la nuit, les avions américains illuminés ont formé un sapin de Noël dans le ciel

9. Les pays occupés sont libérés mais les pays de l'Axe, Italie et Allemagne, ont aussi subi de graves dommages et entendre les échos de la guerre vécue de l'autre côté est également riche en renseignements

Témoignages d'une grand-mère italienne, à l'époque de son école primaire
- le soir, lorsque j'allais mettre ma petite soeur au lit, j'étais tellement épuisée d'avoir travaillé toute la journée dans les champs que je n'avais plus la force de jouer avec elle.
- lors de ma 1ère année, je n'avais pas le temps de faire mes devoirs malgré mon envie d'apprendre et mon potentiel. Après l'école, je devais aider mes parents aux champs, garder les moutons, ...
- on devait rester dans la cave, ne pas s'habiller en blanc, ni en rouge pour ne pas se faire voir des avions.
- à Noël, je recevais du charbon dans ma chaussette et un petit biscuit.
- en 1943 (elle a 12 ans) je fus séquestrée toute une journée par les SS. Je devais lessiver à la rivière, dans l'eau gelée, leurs écussons.
- en 3e primaire, mon école a été bombardée. L'instituteur nous a obligés à monter les escaliers qui se trouvaient à l'extérieur pour aller rechercher nos cahiers.
- j'ai assisté aux bombardements sur Milan qui avaient fait plus de 500 morts et les pompiers qui déterraient les corps des victimes qui n'avaient pu trouver refuge dans les galeries.
- pendant la guerre, ma mère préparait des galettes de pain, avec de la farine, du sel et de l'eau parce que nous manquions de tout.
2 souvenirs d'Allemagne
- je me souviens d'un retour de l'école au cours duquel des avions alliés ont survolé notre chemin pour nous tirer dessus. Je me suis jeté dans le fossé pour nous protéger (G. de Leipzig, 8 ans).
- à Aix la Chapelle, après la guerre, il ne restait que les tôles des maisons et c'était aux femmes de nettoyer les briques et de reconstruire les maisons puisque les hommes manquaient (morts, captifs, disparus). les femmes étant très courageuses, l'Allemagne s'est relevée assez vite.

Quelque chose m'apparaît en clôturant ces pages : nos témoins ont subi, très jeunes, des souffrances et des déchirures inouies. Ils ont enduré des contraintes ou des responsabilités écrasantes, qu'aucun parent d'aujourd'hui ne peut même imaginer pour son petit Jason ou sa petite Lorie. On pourrait donc croire qu'ayant grandi dans une période aussi violente, où leur vie et celle de leurs proches étaient chaque jour menacées, ils seraient aujourd'hui beaucoup plus sereins.
Pourtant, arrivés à 75 ou 80 ans, ces mêmes personnes estiment bien souvent vivre dans une époque très insécurisante et moins heureuse qu'autrefois... Est-ce la nostalgie de la jeunesse ou les souffrances qui s'estompent avec le temps, ne laissant subsister dans la mémoire que les bons moments ?
Ou alors, pour les seniors comme pour la plupart d'entre nous, ne serait-ce pas parce que les médias nous font chaque jour participer en direct à toutes les peurs, toutes les souffrances, toutes les déchirures, toutes les contraintes du monde, entretenant le sentiment désespérant de notre impuissance ?

Mise à jour le samedi 4 décembre 2004

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