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La sorcellerie: histoire et regards

Page Web réalisée à partir des travaux de Angèle Lecocq et Cédric Lebrun

Quelques définitions
Aujourd'hui la sorcière ne fait plus peur. Que ce soit au cinéma, dans la littérature ou dans les vitrines pour Halloween, la sorcière a plus une image "magique" que maléfique. Mais ça n'a pas toujours été le cas.
Pour preuve, la définition que l'on trouve dans les dictionnaires , qui garde des traces de son lourd passé.
De manière commune, le sens attribué aux mots « sorcier » et « sorcellerie » est très négatif : personne qu’on croit en liaison avec le diable et qui peut opérer des maléfices.
L’interprétation anthropologique est plus précise et plus « neutre » en ce qui concerne les effets de la sorcellerie : capacité de guérir ou de nuire, propre à un individu au sein d’une société, d’un groupe donné, par des procédés et des rituels magiques.
Même si ce volet bénéfique existait aussi, les sorcières de nos Ardennes étaient souvent craintes pour leurs pouvoirs dangereux et les avantages qu’elles pouvaient obtenir était plus souvent d’expédier vos ennemis dans l’au-delà que de répandre la charité et l’amour.
Leur alliance supposée avec le diable fut évidemment la principale raison des persécutions qu’elles ont subies. Et par conséquent, ramener une sorcière « dans le droit chemin », c’ était entamer une lutte au nom du Bien, donc de Dieu, contre le Mal, c’est-à-dire Satan, Prince des Ténèbres.

Un peu d’histoire
Au Moyen Age, en Europe, on parle déjà de pacte avec Satan . Ceci reflète bien le besoin de l’Eglise d’édicter les limites entre le « Bien » et le « Mal ».
En réalité, au 11e siècle, la chrétienté démarre la chasse aux hérétiques dont font partie les sorciers. L'inquisition va augmenter ce phénomène.
Jusqu’à la fin du 16e siècle, les sorciers et sorcières étaient considérés comme des devins et guérisseurs, ils étaient donc indispensables dans les villages où les habitants étaient superstitieux. On ne connaissait rien du corps humain ni de la nature, c’est pourquoi les maladies, la famine, les tempêtes, la mort étaient vus comme des phénomènes surnaturels qu’il fallait combattre par des moyens tout aussi surnaturels.. Ainsi ceux qui avaient le pouvoir d’entrer en contact avec ces forces étaient utiles pour protéger les villageois.
Mais on sait que la plus mauvaise période pour les sorciers fut de la deuxième moitié du 16e à la fin du 17e siècle.
Pourquoi cette épidémie de bûchers entre le XVI et le XVIIème siècle?
Lors de cette période, la Chrétienté régnait en maître sur l’Europe. Mais, même s’il est vrai que l’Eglise a eu une grande importance dans ce phénomène, ce n’est peut-être pas la seule explication de ce mouvement de masse à travers toute l’Europe.
Suite aux nombreux voyages transocéaniques et aux découvertes qui s’ensuivent, les savants sont troublés par rapport à ce que l’Eglise affirme du monde, par exemple sur le géocentrisme, et remettent en question son enseignement. L’essor du Luthéranisme et du Calvinisme ébranle les dogmes, l’unité et l’autorité ecclésiastiques. Enfin, suite à la guerre de Trente Ans, accompagnée de famines et d'épidémies de peste, la population, qui vit dans la terreur, va chercher le réconfort dont elle a besoin. Soit dans d’autres cultes que celui de Dieu, soit dans la poursuite et l’exclusion de celui qui porte malheur, le bouc émissaire, pour écarter le danger .
Le pouvoir politique et judiciaire ainsi que l’Eglise vont souvent s’unir pour éliminer ces croyances, restaurer l’unité de la Foi, rétablir la paix sociale et développer le pouvoir central. Dès ce moment l’association de la sorcière au démon et au mal est systématique, lançant alors une véritable chasse aux sorcières.

Les persécutions
Pourquoi y-a t-il eu plus de sorcières que de sorciers sur les bûchers ?
Selon certains historiens il y a eu un sorcier poursuivi contre dix sorcières exécutées. Ce chiffre est peut-être un peu exagéré mais il n’en reste pas moins que la différence est grande.
La tradition et l’Eglise y ont joué leur rôle.
On peut dire que ce fait est directement lié à la condition de la femme, considérée alors comme une créature inférieure.
Par ailleurs, pour l’Eglise, la femme était un être faible, menteur, celle par qui le mal était arrivé dans le monde, en se laissant tenter par le diable au Paradis terrestre.
La Nature féminine, en lui donnant le pouvoir d’enfanter, selon des modalités physiques encore mal connues à l’époque, lui confiait une puissance mystérieuse. Cette fonction lui permettait aussi, en formant avec Satan un couple maudit, de transmettre ses pouvoirs maléfiques. Or on sait que les rites de type sexuel étaient fréquents (Sabbat des sorcières) ou en tout cas fréquemment suspectés dans les activités des sorcières.
Elle avait enfin par sa position dans la famille plus de contrôle – et d’occasions d’agir - sur la santé de celle-ci (préparation de la nourriture, soins aux enfants, aux malades, élevage des petits animaux…).

Les procès
Les sorcières accusées devaient passer par plusieurs épreuves, comme celle de l’eau ou celle effectuée par le « Piqueur ».
Le pacte avec le diable laissait soi-disant une marque particulière sur la peau de la sorcière que les juges étaient chargés de trouver. Cette marque était insensible à la douleur, ainsi le Piqueur bandait les yeux à la sorcière puis il la piquait avec des aiguilles sur tout le corps. Dès qu’il trouvait un endroit insensible, il la faisait avouer ses crimes par la torture.
L’épreuve de l’eau consistait à mettre une sorcière pieds et mains liés dans une grande quantité d’eau ; si elle coulait, ce n’était pas une sorcière, si elle flottait, elle en était une car les sorcières savaient défier toutes les lois, y compris celle de la nature. Après avoir avoué, on l’exécutait en la brûlant publiquement.

A cette période, la sorcière est donc devenu un bouc émissaire.
Le parlement de Paris, par exemple, a envoyé des administrateurs dans les campagnes pour arrêter les pratiques superstitieuses des villageois et pour chasser les personnes qui les détenaient, c'est-à-dire les sorciers et sorcières. Les paysans, terrifiés se sont mis à dénoncer les sorcières par peur d’être dénoncés à leur tour.

Qui était Sorcier ?

Description de sorcières: « vieilles femmes aigries aux mentons et genoux presque soudés par l’âge, le dos arqué, clopinant sur un bâton, l’œil creux, édenté, le visage raviné, les membres agités de tremblements, marmonnant dans la rue».
La vérité est que les femmes qui avaient le malheur de ressembler à cette description risquaient d’être automatiquement étiquetées comme sorcières, alors que souvent, ce n’était que de pauvres vieilles veuves qui n’avaient pas les moyens de vivre autrement.
Les "véritables" sorcières ressemblaient la plupart du temps à leurs citoyennes et passaient très souvent incognito dans leur entourage.

Sexe : On parle de chasse aux sorcières et non de chasse aux sorciers. Comme on l’a vu plus haut, il y eut effectivement beaucoup plus de poursuite envers les femmes que les hommes.

Age : On rencontra beaucoup d’adultes parmi les accusés mais les personnes de plus de 60 ans furent en très grand nombre. Le maléfice était un art. Elles avaient donc dû apprendre leur savoir, y devenir expérimentées. Les femmes âgées étaient donc plus suspectes que les jeunes.

Ces 6 images trouvées sur le Web avec "Harry Potter" en mot-clé donnent une petite idée des 2 versants de la sorcellerie :
d'un côté, l'effrayant, le menaçant, le mystérieux ; de l'autre la magie et la féérie.
D'un côté, le combat du Bien contre le Mal, de l'autre, le balai volant et les bonnes blagues !

Situation matrimoniale : On trouve souvent des veuves dans les listes des condamnés. Par contre les femmes qui étaient mariées et qui avaient des difficultés connues avec leur mari, ou leur belle famille étaient également suspectes.
Pourquoi les veuves étaient-elles suspectes ? Parce qu’elles n’avaient pas de mari et ne menaient pas une vie raisonnable au foyer. Le mari n’était pas là pour les retenir des tentations de s’offrir au Diable. Cela explique également la suspicion envers les femmes célibataires. Les jeunes femmes non mariées, surtout si elles étaient belles, paraissaient capables de faire du mal autour d’elles, en bouleversant l’équilibre moral des hommes, même mariés.

Portrait physique : Les sorciers et sorcières étaient-ils d’une laideur spéciale ? On pensait surtout que tout ce qui avait un rapport avec le Diable devait avoir quelque chose d’anormal visible. La laideur ne saurait pas être démontrée mais les sorcières étaient très souvent porteuses de petites imperfection : pied bot, œil louche ou tirant sur le rouge, tache sur le visage, doigt surnuméraire etc.
Tout indique que les sorcières étaient physiquement faites de la même façon que les autres femmes de leur âge, mais toutes celles qui avaient certaines particularités les virent servir contre elles, et parfois jouer un rôle dans leur condamnation.

Richesse ou pauvreté : Tous les observateurs du début de la chasse ont souligné le fait que la plupart des sorcières étaient pauvres. En effet, celles qui passaient devant les tribunaux étaient issues des classes inférieures de la société mais cela ne veut pas dire qu’elles étaient pauvres. La plupart des condamnés furent des gens modestes, mais qui ne mouraient pas de faim. Mais même si les pauvres ont toujours été majoritaires, ils n’étaient pas les seuls. Toutes sortes de personnes ont été accusées de sorcellerie. Nul n’était à l’abri des accusations.

Profession : Les sages-femmes ont été poursuivies d’une façon intense. La mortalité périnatale était assez présente à cette époque. Il était donc facile de trouver les coupables de la mort des nouveau-nés ou de jeunes enfants, chez celles qui les mettaient au monde ou qui s’occupaient d’eux les premiers mois.

Campagne ou ville : En gros, on a tué plus de sorcières venant de la campagne que de la ville. Mais en 1600, la majorité des européens vivaient dans les campagnes. Les épidémies de bétail et les malheurs météorologiques ont toujours été plus ressentis dans les villages, et c’est sur place qu’il fallait trouver les coupables.

Relations au milieu : Les sorcières furent très souvent condamnées sur base de leurs relations avec leur communauté. Beaucoup semblent avoir été des gêneuses, des personnes qui avaient eu des mots, des conflits avec leur famille ou leur voisinage. Et on se demandait si elles ne se vengeaient pas en jetant des sorts. Elles ne furent que très exceptionnellement dénoncés au hasard. La jalousie, la rivalité, la haine, l’envie, la méchanceté des personnes ont certainement été la cause de beaucoup de condamnation.

Conclusion : Et aujourd’hui ?

La chasse aux sorcières s’éteint progressivement à partir du 17-18e siècle et le regard de la société change. Le gouvernement devient plus rationaliste et freine la chasse. Il y a donc un changement de mentalité. On se rend compte que les sorcières sont des inventions du gouvernement relayant ou amplifiant les croyances du peuple. On réalise que des faits tels que le sabbat ou le transport sur un balai ne sont que des histoires imaginaires et impossibles. Si les vrais sorciers existaient, ils auraient pu échapper au bûcher par quelques tours.
Au 19e siècle, on connaît les lois de la nature et on ne rejette plus les malheurs du monde sur l’existence du diable ni sur ses prétendues aides. On emploie désormais le terme « magie ».

Mais aujourd’hui au 21ième siècle, les sorcières et les superstitions ont-elles disparues ?
La superstition a pris une autre forme : tireuses de cartes, le spiritisme, la parapsychologie, la voyance, l’horoscope, l’herboriste… Certains ont recours aux remèdes de grand-mère pour se soigner, d’autres évitent de passer sous une échelle.
Hier, on allait, en cachette, voir telle sorcière pour trouver les réponses à des questions précises sur l’avenir. Aujourd’hui, la personne qui répond à ces questions se nomme extralucide.
Il y avait la sorcière qui guérissait les maladies. Ce genre de sorcière porte aujourd’hui le nom d’herboriste et est très utile dans notre société actuelle.
Toutes ces femmes qui possédaient un don naturel, qui guérissaient, soignaient l’âme et le corps. On les retrouve aujourd’hui sous le nom d’homéopathes, lithotérapeutes, voyantes…
De nos jours, elles sont acceptées et reconnues mais un jeteur de sort et d’autres désenvoûteurs peuvent être condamnés pour escroquerie et peuvent risquer 1-5 ans de prison, et une amende jusqu’à 370000€ (art 405, code pénal).

Toutefois ces dernières années il y a une recrudescence des simulacres de culte satanique et autres profanations de cimetière, de films ou de romans qui se déroulent dans ce milieu – que l’on songe à l’extraordinaire succès des "Harry Potter"- d’éclosion enfin de nouvelles revues dont les titres d’articles laissent rêveur : comment devenir sorcière - les sorcières existent ; elles sont parmi nous, comment les reconnaître – comment dominer les forces occultes - comment déjouer les maléfices (exemples trouvés chez un libraire de quartier, en mars 2003)…

Pourquoi ce retour au surnaturel? Un désenchantement à l'égard de la rationalité et des technologies, mais également à l’égard du christianisme se développe dans le monde industrialisé. il s'agit peut-être d'une échappatoire à la crise économique que nous vivons et qui ne semble pas pouvoir être vaincue par les technologies modernes.
On peut peut-être aussi penser qu’aujourd’hui nous avons trouvé un autre bouc émissaire pour nous délivrer du malheur. On l’appelle «l’étranger », on le juge au premier regard, on l'accuse de tous les maux et on veut lui règler s'en débarrasser à la première occasion, comme on aurait pu le faire au temps des sorcières.

Bibliographie

Livres
Norman COHN, Démonolâtrie et sorcellerie au Moyen Age, Paris, Payot, 1982
Yves CASTAN, Magie et sorcellerie à l'époque moderne, Paris, Albin Michel, 1979
Jo GERARD, La sorcellerie et ses mystères en Belgique, Bruxelles, Editions J.M Collet, 1986
Pierre DEN DOVEN, La sorcellerie…au pays de Franchimont, Liège, Bibliothèque CHIROUX-CROISIERS
Guy BECHTEL, La sorcière et l’Occident , collection le doigt de Dieu, Edition Plon 1997
Robert MUCHEMBLED,Bengt ANKARLOO, Wolgang BEHRINGER, Francisco BETHENCOURT, Marie-Sylvie DUPONT-BOUCHAT, André JULLIARD, Richard KIECKHEFER, Gabor KLANICZAY, E. William MONTER, James SHARPE, Magie et Sorcellerie en Europe du Moyen Age à nos jours, Paris, Armand Colin, 1994
LE MAXIDICO, Editions de la Connaissance, 1996

Articles
Liliane Sichter, Les sorciers sont parmi nous, dans Evénement du jeudi, n°359, septembre 1991
Valérie COLIN,"Gothic" et vieilles dentelles, dans Le vif l’Express, 24/1/97, p39-45
Christelle GILQUIN,Un amour de sorcière, dans Femmes d'Aujourd'hui, n° X, p22-24

Sites
http://mrugala.free.fr/Histoire/Renaissance/Sorcellerie
http://users.swing.be/MAEVRARD/epidemiesorcellerie.html
http://www.ulb.ac.be/assoc/cal/Magie.html

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