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Les lettres de cachets et les centres fermés

Transposition pour le Web du travail de Stéphane Debey

 

1. Les lettres de cachet

définition
Les lettres de cachet sont des manifestations discrètes et personnalisées de l'autorité royale, par opposition aux lettres " patentes ", actes souverains publics et solennels. Les lettres de cachet sont des lettres fermées, signées par le Roi, souscrites par un secrétaire d'État qui est presque toujours celui de la maison du Roi. Elles sont utilisées à des fins particulières, pour convoquer un corps judiciaire, pour ordonner une cérémonie mais, le plus souvent, elles contiennent un ordre individuel d'exil, d'emprisonnement ou d'internement. Il s'agit en fait d'une mesure arbitraire, puisque manifestation de la justice personnelle du souverain, prise en général après enquête et délibération en Conseil. Cette institution permet d'arrêter rapidement un suspect, de réprimer un délit de presse et surtout de mettre à l'écart un fils de famille indigne, débauché, prodigue ou en danger. La lettre de cachet se considère donc ainsi plus comme un privilège pénal qui s'ajoute à la liste des privilèges de noblesse : elle permet au gentilhomme délinquant d'échapper à l'infamie des prisons ordinaires et même à la rigueur du droit commun.
Il existe en réalité deux catégories différentes de lettres de cachet. La première est ce que l'on appelle la lettre de cachet pour raison d'État qui est à l'initiative du Roi. La seconde, quant à elle, est à l'initiative des familles ou de la police.

 

Une lettre de cachet signée par Louis XV , illustrant la représentation la plus répandue de cette pratique
(Musée Carnavalet à Paris, publiée dans Paquet et Boigelot, " La période moderne et les débuts des temps contemporains", Histoire et Humanités, Casterman, 1973)

"Monsieur de Jumilhac, mon intention étant que le nommé Hugonet soit conduit en mon château de la Bastille, je vous écris cette lettre pour vous dire que vous ayez à l'y recevoir lorsqu'il y sera amené et à l'y garder et retenir jusqu'à nouvel ordre de ma part. La présente n'étant à d'autre fin, je prie Dieu qu'il vous ait, Monsieur de Jumilhac, en sa sainte garde. Ecrit à Versailles, le treize janvier 1765, Louis"

On enfermait généralement dans des prisons (Bastille, donjon de Vincennes, maisons de force), dans des établissements hospitaliers, dans des communautés religieuses, dans des dépôts de mendicité. Grâce à la création de ces établissements en 1760 et au contrôle accru des intendants sur les maisons religieuses, la lettre de cachet devient alors paradoxalement une garantie de justice contre l'arbitraire des internements à l'initiative des seules familles.

Fonctionnement
Comment cela se passait-il effectivement? Lorsque la demande émanait des familles, une requête avec exposé détaillé des faits et de la demande d'une lettre de cachet pour telle ou telle maison de force, était transmise à Versailles par l'intendant qui effectuait, ou faisait effectuer par son subdélégué, une enquête soigneuse : on interrogeait les voisins, le curé, on s'assurait que la famille n'avait pas un intérêt inavouable à faire enfermer le membre incriminé. On remarque que bien que cette pratique soit une mesure arbitraire, on avait quand même le souci du bien fondé des plaintes. De plus, le seuil décisif au-delà duquel la lettre de cachet est accordée, était la sauvegarde de l'honneur de la famille. Différentes raisons pouvaient alors être invoquées : libertinage, délinquance, ivrognerie, dilapidation, danger de mésalliance, folie, Tout aussi diverses étaient les durées de détention qui pouvait aller d'une simple " leçon " de quelques jours à la détention à perpétuité. Cependant, les lettres de cachet étaient rarement données à " temps " : la mention la plus fréquente était " jusqu'à nouvel ordre ", ce qui est conforme à l'esprit de la lettre de cachet qui impliquait l'amendement ou au moins la fin du scandale ou du danger comme préalable à la libération. Cependant, dans les faits, la libération des détenus par lettre de cachet reposait le plus souvent sur une demande de libération de la part de ceux qui avaient provoqué l'internement. La révocation était beaucoup plus aléatoire lorsqu'elle était demandée par le correctionnaire lui-même.

On se rend compte que la lettre de cachet est loin d'être l'arme secrète frappant comme la foudre telle qu'on nous la présente généralement. Elle semble au contraire parfaitement intégrée à la mentalité du " Français moyen " du XVIIIe s. La lettre de cachet est en définitive une arme de répression rendue terrible par l'arbitraire de son cadre, les galères, les supplices

2. Lien avec l'actualité : Les centres fermés pour immigrés clandestins

En Belgique, nous avons vu naître, depuis quelques années maintenant, des centres fermés dans lesquels sont rassemblés les populations étrangères n'ayant pas reçu d'autorisation légale de séjour. Suite à l'assassinat de Sémira Adamu (lors de son expulsion) le Conseil des ministres du 4 octobre 1998 a pris notamment la décision de donner un cadre légal aux règles de fonctionnement de tels centres, par le biais d'un Arrêté Royal. Et, de fait, le 4 mai 1999 ce cadre légal voit le jour. Mais, malgré cela, certains aspects permettent de se poser des questions quant à la légitimité de telles institutions. De plus, d'autres rappellent étrangement le régime passé des lettres de cachet.

Le centre fermé de Vottem (Liège) fonctionne depuis le 9 mars 1999. Il compte 192 lits répartis en quatre ailes de 12 chambres. Il n'y a pas d'aile mixte et les couples sont donc systématiquement séparés. Ceci est une entrave aux droits humains fondamentaux reconnus notamment par la Convention de Genève ratifiée par la Belgique. Mais, bien au delà de cet élément de convenance, d'autres éléments posent des questions bien plus intrigantes encore.

Les hommes et les femmes se trouvant dans des centres fermés y ont été placés sans qu'il y ait eu de jugement officiel les reconnaissant coupables de quelque délit que ce soit. La seule raison justifiant leur incarcération est le fait d'être étranger et de se trouver sur le territoire belge, ou pour d'autres, la conséquence d'une politique gouvernementale hasardeuse. De plus, les conditions dans lesquelles sont détenus les demandeurs d'asile s'apparentent très fort aux régimes pénitenciers. Or, ces détenus n'ont commis aucun crime...

Il existe entre ces deux époques éloignées des analogies tenant à certaines modalités de l'enfermement. Tout d'abord, un même système a été inventé pour mettre de côté ceux qu'on ne " pouvaient décemment garder chez soi ". En effet, que ce soit au XVIIIe ou au XXe siècle, des bâtiments ont été spécialement prévus pour " parquer " ces individus non désirables hors de vue. Nous connaissions les dépôts de mendicité français de l'antiquité, voici les centres fermés belges... Une autre analogie se situe au niveau de la durée des détentions. Comme je l'ai dit plus haut, les libérations après enfermement par lettre de cachet impliquaient l'amendement ou au moins la fin du scandale ou du danger comme préalable à la libération. Cependant, dans les faits, la libération des détenus par lettre de cachet reposait le plus souvent sur une demande de libération de la part de ceux qui avaient provoqué l'internement. On ne connaissait donc pas la durée des détentions, qui n'était pas fixée à l'avance de façon juste et proportionnelle. A l'heure actuelle, des gens sont enfermés dans ces centres sans savoir à combien de temps d'emprisonnement ils s'exposent. De plus, les expulsions sont généralement très rapides. Les détenus ne sont prévenus que la veille. Ils sont alors directement placés en cellule d'isolement, ce qui empêche toute communication extérieure et se retrouvent du jour au lendemain à la rue avec un ordre d'expulsion et de retour au pays.

Cette pratique d'expulsion expéditive, loin de régler le problème, est selon moi un facteur qui favorise le marché noir et la clandestinité. Les " sans-papiers " n'ont souvent d'autre choix que de tenter de disparaître dans les interstices de la société. Les centres fermés fabriquent donc des sans-papiers au lieu de les supprimer. De plus, et comme c'est leur habitude, les partis d'extrême droite profitent de nos problèmes pour se refaire une santé. Ils ne doivent même plus se battre pour faire passer leurs idées. Ces centres fermés sont totalement dans leur logique. Enfin, les politiques gouvernementales de ces dernières années en la matière sont plus que confuses et ne permettent pas, en tout cas, de régler le problème.

Bibliographie

* Les lettres de cachet, article de C. Quetel, in " L'Histoire ", nº29, décembre 1980
* États Généraux, C.P. Borquillon
* Les lettres de cachet, in " Encyclopédia Universalis ", France, 1998 (via Internet).
* Centres fermés: un scandale!, article de J. Sepulchre in " Le Ligueur ", nº18, 1er mai 2002
* Le dictionnaire du prêt­ à penser, Mateo Alaluf
* Compte rendu de la conférence de presse du mercredi 13 mars 2002 concernant la manifestation du 17 mars à Vottem, document réalisé par le C.R.A.C.P.E.
* Il y aura bientôt trois ans, Article de Didier Somze in " La lettre du 32 ­ nº2 ­ février 2002 "
* Bilan général sur le Centre fermé de Vottem, réalisé par le C.R.A.C.P.E. en octobre 2000

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